• Décidément, en ce moment je suis abonnée aux livres qui parlent de peinture ! Après "La jeune fille à la perle" de Tracy Chevalier (à lire ICI), me voici embarquée dans celle du livre de Françoise CLoarec : Séraphine, que j'ai eu plaisir à lire.

     Séraphine de Senlis

    Le livre m'a intéressée car il met en lumière plusieurs personnages, en particulier, plusieurs autres peintres qui ont joué un rôle important dans la vie de cette simple habitante de Senlis au comportement si étrange et au destin pour le moins singulier.

    Séraphine de Senlis - ou Séraphine Louis de son vrai nom - est née près de Senlis à Arsy, dans l'Oise en 1865. Orpheline à sept ans, elle est élevée par sa sœur et son mari jusqu'à l'âge de treize ans, date à laquelle elle part travailler chez les autres, comme son père et sa mère. Quelques années plus tard, elle entre en quelque sorte comme sœur converse dans un couvent de la région de Senlis où elle restera pendant vingt ans. C'est là qu'elle s'imprègne de la lumière de Dieu qui va influencer toute sa vie future. Déçue par ses consœurs, elle quitte le couvent en 1902 et trouve du travail rapidement car elle est très courageuse.

    C'est en allant à la Cathédrale de Senlis que Séraphine dit avoir entendu la Vierge lui ordonner de peindre : "Séraphine, tu dois te mettre à dessiner !"

    Le vaste portail central glorifie la Vierge Marie. Le linteau est consacré en deux scènes à la dormition et à l'assomption. La dormition évoque Marie sur un lit, entourée des apôtres. Son âme est transportée au ciel par les anges. A droite, d'autres anges s'empressent autour d'elle, puis l'emportent : c'est la résurrection.

    Séraphine de Senlis

    Ne pouvant suivre des cours de dessin - réservés aux jeunes filles des familles aisées - elle va demander conseil au peintre et illustrateur senlisien Charles Hallo, dit Alo, dont les thèmes de prédilection sont les paysages touristiques et les scènes de vénerie.

    Il fait vivre sa famille en faisant des affiches pour le chemin de fer français et illustre de nombreux livres de gravure sur bois et sur cuivre. La réponse du peintre est claire : "Prendre des leçons, vous, Séraphine ? Mais vous n'avez pas besoin de leçons."

    Le peintre ne lui donnera pas de conseils mais du matériel.

    Voici quelques unes des affiches réalisées par Charles Hallo que je découvre, à la lecture de ce livre : un affichiste que j'appréciais beaucoup du temps de mon enfance où il ornait les halls des gares parisiennes pour donner aux gens le goût des voyages.

    Chemin de fer de Paris à Orléans : La pêche à la sardine

    Séraphine de Senlis

    Grasse, côte d'Azur : Cité du calme, des Fleurs et des Parfums

    Séraphine de Senlis

    Chemin de fer de Paris à Orléans : Concarneau

    Séraphine de Senlis

    A quarante deux ans, Séraphine commence la peinture.

     Une description de la ville de Senlis et l'influence qu'elle a eue sur la vie de Séraphine suit : si vous voulez visiter cette très jolie ville en images, cliquez ICI. Je l'ai visitée il y a quelques années avec mes copines de randonnée et j'en avais fait un post. C'est vraiment une ville superbe.

    C'est au N°1 de la rue du Puits-Tiphaine que Séraphine habite et qu'elle a installé son atelier.

    Dès 1906, le passant peut apercevoir sur le rebord de la fenêtre des pinceaux plantés dans un vieux pot à confiture, une palette, des vases abandonnés. Séraphine peint sans relâche dans son appartement-atelier. Le jour, elle fait ses "travaux noirs", en gagnant sa vie comme bonne à tout faire, mais le soir ce sont ses "travaux de couleur".

    J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

    Même si Séraphine fait parfois sourire les senlisiens par son accoutrement, son histoire secrète, son monde ailleurs, sa façon de vivre, ceux-ci l'aiment bien car c'est la bonté même. Ce sont les commerçants qui la connaissent le mieux, en particulier le droguiste, la maison Duval, chez lequel elle se fournit en Ripolin et en vernis.

    En 1912, un homme va traverser et bouleverser sa vie : c'est Whilhelm Uhde, un aristocrate allemand collectionneur de tableaux, personnalité brillante du XXème siècle.

    Arrivé en France en 1904, c'est lui qui mettra le pied à l'étrier à Picasso, Braque, Dufy, le Douanier Rousseau, Marie Laurencin...

    En 1912, celui-ci éprouve le besoin de quitter la ville pour la campagne et vient s'installer à Senlis où il prend une femme de ménage qu'on lui a recommandé. C'est ainsi qu'il découvre la peinture de Séraphine et qu'il encourage celle-ci à continuer à peindre :

    Séraphine n'est plus seule.

    Mais la guerre arrive et le regard des gens sur Whilhelm Uhde change : sur le conseil de plusieurs de ses amis, il rentre en Allemagne. Sa collection, en son absence, sera vendue aux enchères à l'Hôtel Drouot...

    Pendant ce temps, Séraphine continue à peindre tout en psalmodiant des cantiques à la Vierge, échangeant ses tableaux chez l'épicier, la marchande de quatre saisons, le cordonnier, la crémière, la modiste, et bien sûr Duval, le droguiste !

    Quels sont les véritables sujets des toiles de Séraphine ? Les fleurs, les feuilles, les arbres. Des fleurs qui s'apparentent à des plumes, des plumes qui font penser à des lyres, des roses, des dahlias, des boutons-d'or, des buissons ardents, des pommes, des cerises, des lilas.

    Il y a du tigré, du moucheté, du velu, du chevelu, du rayé, de l'écailleux, du cachemire, des pois, du bariolé, dans les tableaux de Séraphine. On dirait que ça ondule dans les nervures, que ça vibre dans la ramure, que ça grouille dans les fleurs, dans les arbres, les feuilles, les fruits. Des insectes, des oiseaux, des plumes, faisans, paons, pintades apparaissent, se bousculent. Séraphine fait vibrer les teintes, superpose les couches, les empâtements. Elle se permet tout.

    Je ne suis pas fanatique de la peinture de Séraphine de Senlis, un poil trop chargée à mon goût, mais c'est vrai qu'elle est très originale.

    Grappe de raisin (1920-1921)

    "Séraphine" de Françoise Cloarec ou la vie rêvée de Séraphine de Senlis

     Gerbe de fleurs rouges sur fond bleu (vers 1925)

    J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

    Fleurs de Paradis (vers 1927)

    J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

    L'arbre du Paradis (1928-1930)

    J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

    Les grandes marguerites (vers 1930)

    J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

    Bouquet de fleurs (vers 1930)

    J'ai lu "Séraphine de Senlis" de Françoise Cloarec

     1927, c'est l'année de l'Exposition des Amis de l'art à Senlis : l'événement mondain est annuel, il réunit les artistes amateurs et professionnels de la région. C'est Albert Guillaume, peintre caricaturiste et peintre de la vie parisienne de la Belle Epoque qui la préside.

    Albert Guillaume dans son atelier

    J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

    Je suis allée voir son œuvre sur le net : elle est très abondante et très belle.

    Pour le côté caricatures, j'ai retenu :

    Une affiche pour l'Exposition Universelle de 1900

    J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

    et cette frise destinée à décorer les murs d'un hôtel.

    J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

    Côté peintures, cette jolie toile : j'adore la transparence de la robe de la dame.

    J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

    et cette jeune femme à sa toilette.

    J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

    Séraphine ne veut pas exposer ses toiles au salon.

    Et si c'était pour se moquer de son travail ? Et si on se riait d'elle ? Et si les femmes en noir en profitaient pour les brûler ? Cela ne va-t-il pas fâcher la Vierge ? Et puis, a-t-on le droit d'exposer des tableaux divins dans une Mairie ?

    Mais Charles Hallo finit par la convaincre. Elle expose trois tableaux à la gloire de Dieu : Le bouquet de lilas, le cerisier et les ceps de vigne.

    Le succès de l'exposition est total : Séraphine est la seule à avoir vendu des toiles, et pour cause..., c'est un certain Wilhelm Uhde qui les achète ! Celui-ci est en effet rentré en France en compagnie de son amant, le peintre Helmut Kolle, dont voici quelques œuvres.

    "Autoportrait" - Helmut Kolle (1930)

    J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

    "Homme debout avec son képi" - Helmut Kolle (1926)

    J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

    Portrait d'Anne-Marie Uhde (la sœur de Wilhelm) - Helmut Kolle (entre 1928 et 1931)

    "Séraphine" de Françoise Cloarec ou la vie rêvée de Séraphine de Senlis

    Mais Paris a changé, le monde de l'art aussi. De  nombreuses galeries se sont ouvertes. Les peintres pauvres ou maudits d'avant-guerre, Matisse, Derain, Dufy, Friesz, Vlaminck, Utrillo, Chagall, Soutine et d'autres encore, sont soutenus et reconnus par les marchands des rues La Boétie et du Faubourg-Saint-Honoré... Une exposition du Douanier Rousseau montre des tableaux qui lui ont presque tous appartenu. Il avait acheté l'un d'entre eux, une femme en robe rouge dans une forêt, pour quarante francs à une blanchisseuse.

    Uhde demande le prix au marchand : vous pouvez l'acheter pour trois cent mille francs.

    Femme en rouge dans la forêt - Henri Rousseau (1907)

    J'ai lu "Séraphine" de Françoise Cloarec

    Désormais, Séraphine n'aura plus à faire ses "travaux noirs" pour vivre car Uhde la soutient financièrement afin qu'elle puisse créer librement. Et Séraphine peint deux à trois toiles par semaine. Les marchands d'art commencent à s'intéresser à elle et lui achètent ses toiles si bien que rapidement...

    Séraphine est riche, elle achète tout ce qui lui tombe sous la main, achats irrationnels, chers, sans qualité et, il faut bien le dire, d'un goût douteux... Chez elle, s'entassent argenterie, tissus chatoyants, vaisselle coûteuse, vases, bassines de cuivre, lampes, paniers, cadres dorés, objets de toute sorte, ensemble remisés dans la nouvelle pièce que Wilhelm Uhde loue pour elle à côté de son atelier.

    Ces acquisitions sont destinées à décorer une future maison, digne d'elle, dont elle sera la propriétaire : plus imposante que toutes celles où elle travailla jadis... Elle y fera de grandioses soirées et invitera tous ses admirateurs.

    Est-ce la célébrité qui la grise ?

    C'est le début d'une folie qui va conduire Séraphine, qu'on dit atteinte de débilité mentale, à l'asile d'aliénés, en 1932. A partir de cette date et ce jusqu'à son décès en décembre 1942, Séraphine ne peindra plus mais écrira beaucoup de lettres dans lesquelles elle mêlera Dieu, les anges, la Vierge, mais aussi dans lesquelles elle se plaindra beaucoup de souffrir de la faim. Les asiles souffrent beaucoup à cette époque de l'occupation allemande...

    Les mots sont tourmentés, ils occupent toute la place comme les fleurs occupaient autrefois toute la toile.

    Séraphine sera enterrée dans une fosse commune du carré des indigents au cimetière de Clermont-sur-Oise : elle avait pourtant exprimé, dans ses dernières volontés, le souhait de voir graver sur sa tombe cette mention "Ici repose Séraphine Louis, sans rivale, et attendant la résurrection bienheureuse".

    Des interrogations tourmentent : la peinture a-t-elle été thérapeutique pour Séraphine ? A-t-elle retardé un délire grave existant à l'état latent ou, au contraire, l'a-t-elle précipitée dans la psychose ?

    Françoise Cloarec, psychanalyste (elle a fait une thèse sur Séraphine de Senlis) et peintre, diplômée de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, tente d'y répondre.

    Aujourd'hui, les toiles de Séraphine sont exposées au Centre Pompidou, au musée Mayol à Paris, aux musées d'Art naïf de Nice et au musée d'Art et d'Archéologie de Senlis.

    Portrait de Séraphine Louis par le Docteur Gallot qui l'a bien connue - 1969

    La bande-annonce du film de Martin Provost (2008)

    Le film entre beaucoup plus rapidement dans le vif du sujet mais il reste un superbe film et a d'ailleurs été récompensé par sept "César" dont celui du meilleur film pour son réalisateur et celui de la meilleure actrice pour Yolande Moreau.

    Un livre, écrit par une psychanalyste, qui fait le point sur l'art et la personnalité de Séraphine de Senlis.

    J'ai bien aimé.


    votre commentaire
  • Je viens de lire "La jeune-fille à la perle" de Tracy Chevalier (une écrivaine américano-britannique), un livre qui m'a bien plu. C'est l'histoire touchante d'une jeune fille de seize ans, Griet, qui par la force des choses - son père, céramiste à Delft, étant devenu aveugle suite à l'explosion de son four - doit quitter le cocon familial pour aller travailler comme servante dans une maison bourgeoise, celle du peintre Johannes Vermeer.

    Nous sommes en 1664, à l'âge d'or de la peinture hollandaise.

    Vermeer, maître du confinement...

    Le premier tableau dont il est question dans le livre, c'est Griet qui le découvre dans l'atelier du peintre qu'elle est chargée de nettoyer, en veillant surtout à ne rien déplacer...

    "C'était le premier de ses tableaux que je voyais, aussi resterait-il celui dont je me souviendrais le mieux, même parmi ceux dont je suivrais les progrès depuis la pose de la sous-couche jusqu'aux dernières couches.

    Une femme se tenait devant une table, elle était tournée vers un miroir accroché au mur de sorte qu'on la voyait de profil. Elle portait une veste de somptueux satin jaune, bordé d'hermine et, selon le goût du jour, un nœud rouge s'épanouissait en cinq boucles sur ses cheveux. Sur la gauche, une fenêtre l'éclairait, la lumière jouait sur son visage, soulignant la courbe délicate de son front et de son nez. Elle passait son collier de perles autour de son cou. Elle le nouait, les mains à hauteur du visage. En extase devant l'image que lui renvoyait le miroir, elle ne semblait pas avoir conscience d'être observée. A l'arrière-plan, sur un mur d'une étincelante blancheur, on apercevait une vieille carte et, dans la pénombre du premier plan, on reconnaissait la table sur laquelle étaient posés la lettre, la houppette et les autres objets que j'avais époussetés."

    La Dame au collier de perles (1664)

    Vermeer, maître du confinement...

    Plus loin dans le livre, on apprend que Vermeer aurait retiré la carte de son tableau (le peintre a en effet peint plusieurs tableaux d'intérieur comportant des cartes, mais pas celui-là) après utilisation d'une chambre noire servant à mieux voir son sujet : une astuce employée par l'auteure pour nous parler de ce mystère concernant l'extraordinaire luminosité des toiles du grand peintre.

    Mais, c'est quoi au juste une chambre noire ?

    La chambre noire est l'ancêtre de l'appareil photographique. Grâce à cet instrument, on peut obtenir une image nette d'un objet dont on désire faire le calque. Il s'agit d'une petite boîte dans laquelle la lumière pénètre seulement par un petit trou (le sténopé) et qui est fermée à l'opposé par un papier blanc peu épais ou par un verre dépoli. On peut encore perfectionner cette chambre en utilisant une lentille convertible. L'image est d'autant plus lumineuse que la lentille est plus grande.

    Vermeer, maître du confinement...

    Toutefois, même si de grands noms tels que le peintre et photographe David Hockney émettent une telle hypothèse, rien ne peut l'étayer de façon incontestable et l'inventaire détaillé des biens de l'artiste rédigé après sa mort ne comprend pas de chambre noire ni d'autre dispositif similaire.

    Le mystère Vermeer reste entier.

     Le second tableau que Griet décrit sous la plume de l'écrivaine, c'est pour son père : lui qui ne voit plus, a besoin de tous les détails pour pouvoir l'imaginer.

    "La fille du boulanger se tient debout dans un cône de lumière, près d'une fenêtre. Elle est tournée vers nous, mais elle regarde par la fenêtre à sa droite. Elle porte un corselet de soie et de velours, une jupe bleu foncé et une coiffe blanche qui se termine par deux pointes sous son menton. Si vous regardez cette coiffe un moment, vous vous apercevez qu'il ne l'a pas peinte vraiment blanche mais bleu, violet et jaune. Elle est peinte d'une multitude de couleurs, mais quand vous la regardez, vous avez l'impression qu'elle est blanche. D'une main elle tient une aiguière en étain posée sur une table et de l'autre elle tient la fenêtre entrouverte. Elle est sur le point de saisir l'aiguière et d'en verser l'eau par la fenêtre, mais son geste reste en suspens, soit qu'elle s'abandonne à sa rêverie, soit qu'elle regarde par la fenêtre."

    Il s'agit de "La jeune femme à l'aiguière" qui a été peint en 1658.

    Vermeer, maître du confinement...

    Plus tard, on apprend que Van Ruijden, le mécène de Vermeer, désire se faire représenter dans un tableau du maître (c'est la version du livre) : le décor sera celui d'un salon de musique.

    "Au cours des jours suivants, il travailla à la composition du tableau. Il disposa une table et des chaises, souleva le couvercle de l'instrument, décoré d'un paysage de rochers et d'arbres avec un effet de ciel. Il recouvrit d'une nappe la table au premier plan et plaça la viole de gambe au-dessous de celle-ci."

    "Le concert" (1663-1666)

    Vermeer, maître du confinement...

    Dans son livre, Tracy Chevalier donne à son héroïne une place de choix dans la peinture du maître, celui de tenir le rôle de "La jeune fille à la perle" (peint vers 1665) qui donne son titre au roman : une idée qu'elle fait endosser à Van Ruijden, ce coureur de jupons qui, s'il ne peut pas posséder Griet, a néanmoins choisi d'en posséder le portrait !

    L'histoire ne dit pas qui en a été le réel commanditaire...

    Lors d'une visite à ses parents, on assiste à ce dialogue entre Griet et son père.

    "Tu sens l'huile de lin". "Mon père semblait déconcerté. Il doutait que le simple ménage d'un atelier d'artiste pût imprégner mes vêtements, ma peau, mes cheveux de cette odeur. Et il avait raison. Devinait-il que l'huile se trouvait à présent dans la chambre où je dormais, que je posais durant des heures, absorbant ses effluves ? Oui, il le devinait, mais il n'aurait pu l'affirmer. Sa cécité le privait de sa belle assurance, il se méfiait de ses pensées."

    L'auteur nous raconte ensuite comment le peintre s'y prend pour inciter Griet à retirer sa coiffe. Il semble en effet qu'à cette époque seules les prostituées laissent voir leurs cheveux.

    "Fouillant dans toutes ces étoffes, il en sortit une bande longue et étroite d'étoffe bleue."
    "Je voudrais malgré tout que vous essayiez ceci."
    Je regardai le tissu.
    "Il n'y en a pas asez pour me couvrir la tête."
    "Alors, prenez aussi ce morceau-là."
    Il ramassa un bout de tissu jaune bordé du même bleu et me le tendit.
    ...
    "Bien, dit-il alors. C'est parfait, Griet. Parfait."

    Je trouve formidable le don qu'ont ces romanciers pour réinventer l'histoire !

    Ce tableau était différent de ses autres toiles. Seules y figuraient ma tête et mes épaules, sans table ni rideaux, ni fenêtres, ni houppette pour adoucir l'ensemble et disperser l'attention. Il m'avait représentée avec les yeux grands ouverts. La lumière tombait sur mon visage, en laissant le côté gauche dans l'ombre. Je portais du bleu, du jaune et du marron. Avec le bout d'étoffe autour de ma tête, je ne me ressemblais plus mais ressemblais à une autre Griet venue d'une autre ville, et, qui sait, d'un autre pays. Le fond noir donnait l'impression que j'étais seule, même si, de toute évidence, je regardais quelqu'un. J'avais l'air d'attendre un événement dont je doutais qu'il arrivât jamais.

    Il avait raison, le tableau satisferait peut-être Van Ruijden, mais il y manquait quelque chose. Je compris avant lui ce qu'il y manquait. Percevant ce qui faisait défaut, cette petite touche de lumière dont il s'était servi pour aguicher l'œil dans d'autres toiles, je frissonnai. Et ce sera la fin, me dis-je. Je ne me trompais pas.

    L'auteur donne ici une explication à l'ajout de la boucle d'oreille qui illumine effectivement le visage de la jeune fille à la perle.

    "Monsieur, commençais-je en m'agrippant bien fort à la sculpture dure, inexpressive. Je ne peux pas faire ça. - Faire quoi, Griet ?" Son étonnement était sincère.
    "Ce que vous allez me demander de faire. Je ne peux pas en porter. Une servante, ça ne porte pas de perles." Il me fixa du regard un long moment, puis il secoua plusieurs fois la tête. "Vous êtes vraiment imprévisible ! Vous n'avez pas fini de me surprendre." "Vous savez que ce tableau a besoin de cette lumière que reflète la perle. Elle le complète", murmura-t-il.

    Ce que l'auteur ajoute dans son roman, c'est que son héroïne, Griet, n'a pas les oreilles percées... Cette bande-annonce du film montre justement l'épisode des boucles d'oreilles : il est très bien interprété par Scarlett Johansson, l'actrice américano-danoise. On y sent bien l'ambiguïté des relations entre le maître (joué par Colin Firth) et son modèle qu'évoque Tracy Chevalier dans son livre.

    La jeune fille à la perle (vers 1665)

    Vermeer, maître du confinement...

    Afficher l’image source Un joli livre Afficher l’image source 

    J'adore voyager dans l'histoire grâce à la littérature et à la peinture et quand c'est celle de Vermeer, c'est le top !


    votre commentaire
  • Il s'agit d'un livre que j'ai choisi dans la rubrique "Nous aimons, vous aimez" de ma bibliothèque qui m'oriente souvent vers de très bons choix.

    Est-ce parce qu'il est multiculturel (né en Suisse, ayant vécu son enfance à Paris, puis parti vivre à Londres, ayant même passé quelques années à Washington) qu'Olivier Dorchamps a choisi pour son premier roman qu'il dédie à son ami Ramzi J. - Ceux que je suis - de mettre en scène un héros français de parents marocains ayant émigré en France pour y fonder une famille ?

    J'ai lu et beaucoup aimé "Ceux que je suis" d'Oliviers Dorchamps

    Une interview d'Olivier Dorchamps (25 min) éclaire ce choix.

    Le livre est extrêmement émouvant et l'écriture en est simple, une qualité que j'apprécie toujours beaucoup : Marwan est un jeune français de 29 ans, professeur agrégé d'Histoire-Géographie dans un lycée parisien. Il se sent complètement intégré car ses parents eux-mêmes ont choisi de le faire dès leur arrivée en France : ils ne pratiquent pas (célébrant juste la fête de l'Aïd où il partagent un agneau avec leurs voisins) et fêtent même, en bon français, la galette des Rois, les crêpes de la Chandeleur, les œufs de Pâques et la bûche de Noël.

    Quand son père décède brutalement à 54 ans, il apprend tout comme ses deux frères, Ali qui est avocat et Foued qui fait de brillantes études, que son père a choisi d'être inhumé à Casablanca où il est né et qu'il l'a désigné pour accompagner son cercueil dans l'avion qui le ramène au "pays". Il sera accompagné de Kabic, l'ami de toujours, compagnon d'émigration du défunt. La mère, quant à elle, fera le voyage par la route, accompagnée de ses deux autres fils.

    Et c’est à lui que sa grand-mère, dernier lien avec ce pays qu’il connaît mal, racontera toute l’histoire.

    Un petit passage m'a bien amusée (Olivier Dorchamps utilise parfois l'humour pour permettre ce qu'il appelle "des respirations") :

    Marwane est en train de déambuler dans un quartier de Casa où se trouve une pharmacie.

    Sur la devanture de la pharmacie, deux hommes d'échinent à accrocher une enseigne toute neuve. On peut y lire "affiliée à l'Institut Pasteur de Paris" en arabe et en français. Le pharmacien en blouse blanche leur crie des instructions en marocain ; plus à gauche ! à droite ! en haut ! en bas ! Les ouvriers ne semblent pas y prêter la moindre attention. Un homme, plus jeune et en blouse blanche lui aussi, invective le pharmacien en français afin que les passants en comprennent pas ce qu'ils se disent.

    - On ne peut pas mettre ça Papa, c'est un mensonge.
    - Quoi mon fils, l'Institut Pasteur c'est pas à Paris ?
    - Si, évidemment.
    - Et quand tu as fait tes études là-bas avec la bourse, tu n'es pas allé leur proposer de travailler pour eux peut-être ?
    - Si.
    - Et tu n'es pas mon fils ?
    - Si.
    - Et quand un fils a encore son père, on dit quoi ? Qu'il est affilié. Alors si tu es affilié à moi, et que tu as travaillé pour l'Institut Pasteur, c'est comme si j'y avais travaillé moi, et c'est pour ça que la pharmacie elle est affiliée à l'Institut Pasteur de Paris. Il n'y a pas de mensonge !
    - Sauf que j'y ai seulement fait un stage de trois mois, Papa !
    - Et alors ? C'est de ma faute si tu n'es pas foutu d'y rester ? Tu as de la chance que je te rattrape le coup !

    Le roman gagne beaucoup en intensité au fur et à mesure que l'on en tourne les pages, de plus en plus avidement. Grâce à sa grand-mère qui lui révèle un lourd secret, Marwan y découvre ses origines. Quant au titre du livre - Ceux que je suis - il est à double sens et on le comprend mieux en arrivant presque à la fin de ce roman que j'ai trouvé passionnant.

    Un roman fort et très attachant


    votre commentaire
  • Le titre du roman de Marc Lavoine "L'homme qui ment sous-titré le roman d'un enjoliveur" est suivi de cette petite phrase : récit basé sur une histoire fausse.

    Afficher l’image source

    Il est vrai qu'à la lecture de ce livre qui m'a emballée, je me suis souvent demandée s'il s'agissait réellement d'une autobiographie et j'ai dû consulter l'internet à la recherche de précisions pour être sûre qu'il s'agissait bien de la même personne que celle qui s'installe régulièrement dans un fauteuil de The Voice (que je ne regarde jamais), les deux personnages me semblant tellement diamétralement opposés...

    Marc Lavoine se livre à cœur ouvert dans ce livre qui raconte un père qu'il a beaucoup aimé, un père communiste et cégétiste - donc idéaliste - en plus d'être "pététiste" mais surtout très volage (et aussi porté sur la bouteille) qui fait partager à ses enfants les frasques qu'il ne peut avouer à sa femme.

    On comprend à la lecture du livre comment l'interprète de "Elle a les yeux révolvers" a pu accéder très jeune au milieu du spectacle et devenir le chanteur, l'acteur et le poète que l'on connaît.

    L'écriture est très agréable, mi parlée mi poétique : le livre se lit d'un trait.

    Marc Lavoine y parle aussi de sa mère (qui désirait avoir une fille qu'elle aurait appelée Brigitte et qui mit plusieurs jours avant d'accepter son bébé) et de son frère, Francis, qui a toujours eu un rôle protecteur envers ce petit frère un peu fragile.

    Je connaissais le chanteur et l'acteur : j'ai découvert l'écrivain.

    A lire sans modération !


    votre commentaire
  • Je poursuis, avec le tome IV intitulé "Innocent breuvage" - entre séances télé, recherches sur le net, rédaction de mon blog, cours d'italien, révision de mes chants de chorale et occupations ménagères - ma lecture des Enquêtes de Quentin du Mesnil, ce maître d'hôtel du roi François Ier imaginé par Michèle Barrière.

    J'ai lu le quatrième tome des enquêtes de Quentin du Mesnil...

    Cette fois-ci, me voici plongée dans une sombre histoire d'empoisonnement mais, pas n'importe lequel puisqu'il s'agit de celui du dauphin François, fils aîné de François Ier, destiné à devenir roi de France.

    Quentin du Mesnil est amené à aller à Lyon quérir François Rabelais pour innocenter l'échanson au service du dauphin, Sébastien de Montecuculli - quel drôle de nom me direz-vous (mais il s'agit bien du vrai personnage) - accusé, probablement à tort, d'être à l'origine du trépas du jeune homme âgé de seulement dix-huit ans : le 10 août 1536, le dauphin François meurt subitement, sans doute d'une pleurésie pour avoir bu de l'eau trop glacée après une partie de jeu de paume endiablée. On soupçonne alors un empoisonnement par un espion à la solde de Charles-Quint qui est en guerre contre le roi de France...

    François de France, dauphin et duc de Bretagne, par Corneille de Lyon (XVIème siècle)

    dauphin_francois.bmp

    Et c'est là que je découvre l'étendue de mon ignorance... J'y apprends que Rabelais était, non seulement l'homme de lettres que je connais, auteur de Gargantua et Pantagruel, mais également un médecin fort réputé et même pour un temps, moine - ce qui ne l'a pas empêché d'avoir deux enfants, c'était monnaie courante à cette époque !

    François Rabelais (gravure de 1609)

    Afficher l’image source

    Une petite parenthèse avec quelques unes des maximes de Rabelais...

    Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.
    Un malheur ne vient jamais seul.
    L'ignorance est mère de tous les maux.
    Tout vient à point qui peut attendre.
    Rire est le propre de l'homme. 

    Chargé de veiller à la bonne préparation des plats dans les cuisines du Roi afin d'y débusquer d'éventuels empoisonneurs, Rabelais répond, sous la souris de Michèle Barrière,

    Afficher l’image source

    à un autre médecin qui lui demande s'il ne trouve pas l'oseille trop astringente...

    Et c'est là, tout l'art de Michèle Barrière qui imite à la perfection la verve de Rabelais !

    "Avec l'oseille, vous faites une belle sauce verte, légère à digérer, facile à assimiler, qui vous ébaudit le cerveau, égaie les esprits animaux, réjouit la vue, ouvre l'appétit, flatte le goût, donne du cœur au ventre, chatouille la langue, éclaircit le teint, fortifie les muscles, tempère le sang, allège le diaphragme, rafraîchit le foie, décharge la rate, soulage les rognons, calme les reins, dégourdit les vertèbres, vide les uretères, dilate les vases spermatiques, purge la vessie, gonfle les génitoires, redresse le prépuce, encroûte le gland, raidit le membre, vous donne bon ventre, vous fait bien roter, fienter, uriner, éternuer, sangloter, tousser, cracher, vomir, bâiller, moucher, souffler, inspirer, respirer, ronfler, suer, dresser le virolet, et mille autres rares avantages..."

    Torturé, le jeune échanson avoue le crime mais n'accuse pourtant pas Charles Quint. Sous la douleur, il perd la raison : tous les grands noms d'Italie se retrouvent être les commanditaires. Un procès est organisé à l'automne, simulacre de justice où François Ier a déjà dicté son verdict. En octobre, Sébastien de Montecuculli est déclaré coupable. De Roanne où il était emprisonné, il est ramené à Lyon où il est écartelé grâce à quatre chevaux devant les yeux de François 1er et sa cour. Les membres du pauvre homme sont placés au quatre portes de la ville, sa tête sur une lance. Le corps est livré à la folie de la foule. Lyon se repend du sang de celui présenté comme meurtrier : on pense que justice est alors faite.

    Hou la la... Dur dur le supplice !

    On a quand même fait des progrès avec la guillotine...

    J'ai lu le quatrième tome des enquêtes de Quentin du Mesnil...

    Paix à son âme

    Des murmures, venus de la cour de Charles Quint, accusent d'autres commanditaires, ceux qui ont eu le plus à gagner dans cette histoire : les Médicis. Le futur Henri II (jeune frère du dauphin François) et sa femme Catherine de Médicis sont promis à devenir roi et reine de France.

    Le mariage d'Henri II avec Catherine de Médicis - Jacopo da Empoli (XVIème siècle)

    Afficher l’image source

    Qui dit vrai ?


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique