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Les traces de l'iconographie religieuse dans l'art moderne et contemporain par Générations 13
Pour cette nouvelle conférence au sein de notre association, Lucie Pierre a choisi de traiter du thème suivant : les traces de l'iconographie religieuse dans l'art moderne et contemporain
Plan de son intervention : La Cène, L'Ecce Homo, La Crucifixion, La Pietà, Le Christ mort dans son tombeau, La Résurrection.
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1- La Cène
► La peinture murale de Léonard de Vinci (1495) sert de référence. Elle se trouve au couvent des dominicains à Milan. On y voit Judas à gauche du Christ mettant la main dans un plat et ayant renversé le sel, signe de sa trahison (Jésus est le sel de la terre).
Dans ce tableau, les sentiments intérieurs sont illustrés par la gestuelle des personnages.
► La Cène de Mary Beeth Edelson (Some living American women artists) - 1972
Mary Beth Edelson est une artiste qui se rattache dans les années 1970 au "Feminist Art Mouvement". Sa performance est symbolique. Elle se réapproprie l'œuvre de Vinci.
Tandis que dans la représentation classique de la Cène, la moitié de l'humanité est évacuée (on y voit que des hommes), l'artiste choisit ici de ne représenter, au contraire, que des femmes en utilisant un photos-montage : Georgia O'Keeffe incarne ainsi le Christ ; Lee Krasne, Louise Bourgeois, Yoko Ono, des apôtres. L'oeuvre est bordée d'une frise composée de plus de 50 photographies d'artistes contemporaires vivantes.
Mary Beth Edelson ouvrira aux Etats-Unis la première galerie pour femmes.
► La cène de Renée Cox (Yo Mama's Last Supper) - 1996
Là, il faut oser !
Représenter une femme nue, enceinte et noire par-dessus le marché, au centre de la scène en lieu et place du Christ entourée par les apôtres (tous des hommes noirs, Judas étant le seul homme blanc).
L'artiste revendique le droit des femmes à devenir prêtres. Il s'agit d'un autoportrait exécuté à partir de montages photographiques.
► La Cène de Raoef Mamevov (The Last Supper) - 1998
Il s'agit ici aussi pour cet artiste azerbaïdjanais de faire réagir le public avec cette Cène représentée par des handicapés trisomiques réunis autour d'un partage. Il faut se souvenir qu'à cette époque là l'Eglise rejetait les handicapés sous prétexte qu'ils ne comprenaient pas la Communion. Chacun des modèles a posé séparément, les photographies étant ensuite rassemblées par ordinateur pour créer ces compositions épurées.
De fait, The Last Supper inverse de façon spectaculaire le monde malsain de Jérôme Bosch où des visages similaires figuraient la monstruosité du péché et de la barbarie. ici, l'anormalité se situe du côté du bien...
L'image de Jésus et des Apôtres ainsi projetée redéfinit la notion de charité, d'empathie, et démonte l'idée insupportable de la différence.
► La Cène de Zeg Fanshi (The Last Supper - 2001
Ici, le Christ et les apôtres sont masqués de blanc, imitant les gens que l'on croise dans la rue, sans expression, tous anonymes. Ils ont tous un foulard rouge (l'artiste chinois n'a pas été admis au Parti Communiste à cause de son père qui était très catholique).
Seul Judas a une cravate jaune, symbole du pouvoir de l'argent, le capitalisme.
D'ailleurs, cette œuvre a été achetée 23 millions de dollars !
► La Cène de David La Chapelle (Jesus is my home boy) - 2013
Ce qui se traduit par "Jésus est mon pote" !
Le Christ est en rouge entouré d'un halo doré simulant une auréole. Il s'agit d'une photographie aux tons très saturés, ce qui donne un aspect irréel à la scène. On pressent l'art de la Renaissance derrière.
► La Cène de Marithé et François Girbaud (affiche publicitaire pour la boutique de vêtements de Marithé et François Girbaud) - 2005
Les jeunes gens sont bien sûr vêtus des vêtements de la dernière collection de prêt à porte des créateurs.
L'affiche fait scandale avec ces douze jeunes femmes et ce jeune homme torse nu dans une attitude lascive et qui prend la place de Marie-Madeleine. Lucie nous fait remarquer que la table n'a pas de pieds (monde flottant). L'affaire est allée jusqu'au procès.
Et si Jésus était une femme... ?◄►◄►◄►◄►◄►
2 - L'Ecce Homo
"Ecce Homo" est une expression employée par Ponce Pilate pour désigner le Christ. Lucie nous montre deux références pour ce thème, le tableau d'Antonio de Messine et celui du Caravage.
► L'Ecce Homo d'Antonio de Messine - 1473 sert de référence à Lucie.
Il s'agit d'une peinture à l'huile de la Renaissance italienne traitée dans le style du réalisme flamand. Le Christ a ici un regard implorant, d'acceptation de sa défaite.
Je le trouve superbe mais il fait vraiment pitié, vous ne trouvez pas, en nous regardant dans les yeux ? On sent dans cette œuvre une grande communion entre le divin et nous.
► L'Ecce Homo du Caravage - 1605, une autre référence
Ici tout au contraire, le Christ baisse les yeux, comme entré en lui même, "absent". On appelle cela une figure "absentée" nous dit Lucie. Il paraitrait que le personnage à droite du Christ soit un portrait de Ponce Pilate... C'est vrai qu'il a une sale tête !
► L'Ecce Homo d'Antoine Watteau - 1718
Ici encore chez Watteau, une figure "absentée" avec ce Pierrot qui porte son chapeau comme une auréole. Il est l'image de la solitude humaine. On peut penser à Buster Keaton ou à Charlie Chaplin aussi qui sont des saltimbanques cachés dans l'Ecce Homo. Lucie nous parle aussi, dans le même esprit du clown de Rondinone.
► L'Ecce Homo de Lovis Corinth - 1925
Lovis Corinth est un artiste allemand dont l'œuvre a été traitée "d'art dégénéré" par les nazis. On peut voir sur le tableau, encadrant le personnage habillé de rouge, à droite, un militaire qui pourrait bien être un SS et à gauche, un médecin qui pourrait bien représenter Joseph Mengele...
Il s'agit d'un autoportrait féminisé (on commençait à persécuter les homosexuels à cette époque). L'artiste a créé une école de peinture pour femmes.
► L'Ecce Homo de Max Wallinger - 1999
Il s'agit d'un anti-monument qui a été exposé à Trafalgar Square. Le contraste est très grand entre les hommes conquérants sur leurs chevaux et ce petit homme en blanc couronné de barbelés. Le blanc représente la couleur du passage (candidus en latin signifie blanc).
Là il me faut des explications supplémentaires, Lucie...
► L'Ecce Homo de Pierrick Sorin - (Titre variable N°2) ET (Chorégraphie au savon)
Il s'agit là de représenter l'anti-héros : corps gauche, sans grâce...
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3 - La Crucifixion
Lucie nous explique qu'il y a trois manières de représenter une crucifixion :
le Christ Patiens (2 clous)
le Christ Dolens (1 clou)
le Christ Triomphant► Elle prend pour référence le célèbre retable d'Issenheim qui est à Colmar, une œuvre de Mathias Grünewald.
Il s'agit d'un Christ Dolens (souffrant).
Les personnages sont à l'échelle de leur importance : ainsi le Christ est-il représenté beaucoup plus grand que tous les autres personnages.
Un anachronisme : Saint-Jean-Baptiste figure à droite de la croix alors qu'il a déjà été décapité par Salomé...
Marie-Madeleine (toujours rousse dans la peinture religieuse) est toute petite à côté : elle figure la rédemption. Saint-Jean, lui,soutient la Vierge.
La Crucifixion chez Goya - Le Tres de Mayo (1814) au Prado
Le tableau "Tres de Mayo" représente l'exécution de 43 patriotes espagnols, fusillés par les soldats français à Madrid le 3 mai 1808, pendant la nuit en représailles d'une révolte qui a eu lieu la veille (2 mai) à Madrid.
Cette toile l'une des représentations les plus connues de la dénonciation des horreurs liées à la guerre.
La figure christique est ici tout en blanc (l'homme a la position du Christ sur la croix) et est fortement mis en lumière, à côté de tous ceux qui vont être assassinés. Goya met en avant le religieux en montrant des victimes agenouillées ou en train de prier Dieu. Les soldats sont représentés de dos, tous habillés pareil et dans la même position : Goya veut montrer qu'ils n'éprouvent aucun remord, ils semblent déterminés.
► La Crucifixion chez Picasso - 1930
On dirait du n'importe quoi, non ? Il s'agit de Cubisme émotionnel nous dit Lucie.
Picasso a beaucoup regardé les enluminures et il est influencé par leurs couleurs vives. Lucie plaisante en nous disant que "Jésus en voit de toutes les couleurs" ! En fait, Picasso se met "à l'intérieur" des personnages pour exprimer que la souffrance ça déforme la vision des choses. C'est une peinture par la déformation des sentiments...
► La Crucifixion de Francis Bacon - 1925
Accrochez-vous !
Au centre du triptyque, la figure christique du ver qui dégouline de la croix : figure la décomposition des corps.
C'est tout ce que j'ai noté...
► La Crucifixion de Dali (Le Christ de Saint Jean-de la Croix) - 1951
Le Christ est représenté ici de façon humaine et simple : il a les cheveux courts - au contraire des représentations classiques - et se regarde dans l'eau de la mer, un peu comme s'il était un oiseau, comme une sorte d'Apollon. Le puissant clair-obscur qui sert à rehausser la figure de Jésus provoque un effet dramatique.
► La Crucifixion de Jean-Michel Alberola (Etudier le corps du Christ) - 1989 - Centre Pompidou
Comme une évocation de l'image du suaire...
► La Crucifixion d'Andrès Serrano (Pisschrist) - 1987
Il s'agit, comme nous l'explique Lucie, de la photo d'un petit crucifix en plastique trempé dans l'urine et le sang de l'auteur. Serrano veut à la fois dénoncer le commerce des petits objets religieux et rappeler les horreurs que le Christ a subies. L'œuvre a suscité de nombreuses protestations et a été vandalisée par des groupes d'extrême droite lors d'une exposition en Avignon.
► La Crucifixion de Titus Carmel (Suite de Grünewald) - 1994
Trois couleurs...
► La Crucifixion de Renée Cox (It shall be named) - 1994
Renée Cox est une artiste jamaïcaine, photographe et militante politique. Elle a parlé de l'esclavage à travers cette crucifixion où elle représente le Christ sous les traits d'un homme noir lynché. A noter que le personnage n'a pas de sexe...
► La Crucifixion de Niki de Saint Phalle (1965)
S'il fallait que je donne mon avis, je dirais que je déteste !
Cette femme crucifiée, aux bras coupés et au visage extatique, exprime toute l’ambiguïté que Niki de Saint Phalle décèle dans la condition féminine. Elle est à la fois une mère, comme l’indiquent les jouets qu’elle porte sur sa poitrine ; une putain dont les jambes écartées laissent apparaître un pubis de laine noire ; et encore une « mémère » avec ses bigoudis dans les cheveux.
Peut-être qu'avec cette œuvre Niki de Saint Phalle propose une image de la femme comme martyre inconnu.
► La Crucifixion de Maurizio Cattelan (Sans titre) - 2007
L'œuvre de cet artiste est présentée dans une boîte de transport (hyperréalisme), une œuvre faite de résine, de peinture, de cheveux humains et de bois). L'artiste italien a été influencé par une photo de Francesca Woodman, photographe américaine décédée à 22 ans (elle s'est suicidée), qui a réalisé plusieurs autoportraits dont un, accrochée à une porte...
► La Crucifixion de Bansky - 2004
Bansky est un artiste britannique de Street Art qui travaille sous son pseudonyme. Ses messages sont souvent anticapitalisme. Il s'agit ici de dénoncer le consumérisme des fêtes de Noël, un temps normalement consacré aux valeurs chrétiennes de la charité humaine avec cette satyre où le Christ est crucifié, portant à bout de bras des paquets cadeaux.
L'artiste veut faire passer le message comme quoi le mercantilisme l'aurait tué !
► La Crucifixion de Taroop et Glabel - 2005
Taroop & Glabel vivent et travaillent à Paris. Il s'agit d'un collectif : Mickey prend ici la place du fils de Dieu. Le collectif dénonce moins les religions chrétiennes que la société de consommation qui crée ses icônes et leur donne l'importance de dieux.
► La Crucifixion d'Ernest Pignon-Ernest (en relation avec Jean Genet) - 2006
Le travail de l'artiste français représente deux hommes soulevant Jean Genet, poète et dramaturge du XXe qui a revendiqué son homosexualité. On peut dire que ces deux hommes soutiennent Jean Genet dans les deux sens du terme, au sens propre, car ils le soutiennent physiquement, au sens figuré, car ils le soutiennent dans ses idées.
Jean Genet va mourir : il semble épuisé et dans la même position que Jésus crucifié. Il se serait donc fait tuer pour ses idées, ce qui donne un aspect plus sombre à cette photo.
► La Crucifixion d'Adel Abdessemed (Christ barbelés) - 2012
Né en Algérie, Adel abdessemed est l'une des stars de l'art contemporain en France. Plusieurs de ses œuvres font partie de la collection de François Pinaud qui lui a acheté ce Christ pour le prix de 2 millions d'euros. Il travaille avec du fil de fer barbelé.
Son travail est en relation avec la prison de Guantanamo.
C'est une œuvre saisissante (que j'aime beaucoup).
► La Crucifixion de Léon Ferrari (La civilisation occidentale et Chrétienne) - 1965
Cet artiste argentin a produit cette œuvre en réaction à la guerre du Vietnam. Il s'agit d'un Christ crucifié sous le fuselage d’un avion de chasse américain de l’US Air Force dont les ailes sont armées de bombes.
► La Crucifixion de Michal Batory (Je suis Charlie) - 2015
Ici, seulement trois éléments : un crayon, un projectile – qui forment ensemble une croix – et le slogan « Je suis Charlie ».
L’affiche de Michal Batory est un hommage d’un artiste à ses confrères artistes, ceux qui ont résisté aux ténèbres, à l’obscurantisme, qui ont refusé de se plier aux menaces de violence, qui ont défendu la liberté d’expression contre toute attente et qui en ont payé le prix fort.
Comme l'a justement observé l'une des participantes à la conférence, chez Charlie Hebdo, ils étaient pourtant plutôt anticléricaux...?
► La Crucifixion d'Erik Ravelo (Les intouchables) - 2012
Crucifier les enfants sur leur bourreau, c'est l'idée qu'a eue le photographe cubain Erik Ravelo pour sensibiliser à la violence enfantine. Les enfants sont donc photographiés comme autant de crucifiés sur le dos de leur croix-bourreau. Des conflits en Syrie (le bourreau-soldat) , aux drames des fusillades dans les écoles américaines en passant par les affaires d’abus sexuels qui ont terni l’image du Vatican (le bourreau-prêtre), la malbouffe (le bourreau Ronald de chez MacDo) ou la pollution (je n'ai pas trop identifié le bourreau...).
Ces images ont le mérite de relever le caractère sacré de l'enfance, la référence à la crucifixion est ici plus symbolique que religieuse : un projet qui dépasse le simple cadre photographique.
Lucie s'est arrêtée là au bout de deux heures de conférence, sans avoir le temps de traiter des trois autres thèmes qu'elle voulait aborder.
J'ai beaucoup appris mais pas toujours aimé...
La suite à la fin de l'année scolaire, a dit Lucie !
Tags : iconographie religieuse versus art moderne, iconographie religieuse versus art contemporain, La Cène, L'Ecce Homo, La Crucifixion, Générations 13
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Commentaires
Merci Claire
Beau reportage et très intéressant et des photos surprenantes
un grand Bravo
Bonnes fêtes de Fin d'année
Bisous
Monick