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Visite de l'ancien Palais de Justice avec Générations13
En cette belle après-midi ensoleillée du mois de mai, je me suis rendue au métro Cité où Anne-Marie Guérin nous avait donné rendez-vous, dans le cadre de ses "Petites promenades dans Paris", pour une visite de l'ancien Palais de Justice.
Nous étions une quinzaine à nous y retrouver.
En attendant les derniers inscrits, un petit tour dans le marché au fleurs voisin
C'est la saison des hortensias : ceux-ci, à fleurs plates, sont très originaux.
Annie nous dirait sûrement quelles sont ces fleurs qui m'ont tapé dans l’œil...
Dès le départ très intéressée par cette visite, j'ai été plus que comblée par celle que nous a proposée Bernadette Verdeil, la guide-conférencière choisie par M. Obel (de l'Association Paris art et histoire) qui, extrêmement agréable, n'a pas été avare de son temps pour nous faire découvrir ce lieu chargé d'histoire.
La voici qui rejoint le groupe au niveau de la rue de Lutèce.
Elle nous montre ici un plan de l'ensemble des bâtiments du Palais où l'on voit bien la partie récupérée par le Tribunal de Cassation depuis le déménagement de certaines des instances du Palais au sein du nouveau bâtiment construit par Renzo Piano aux Batignolles.
La Sainte-Chapelle est actuellement encastrée dans les bâtiments du Palais de Justice qui forment un angle en retour.
Ce n'était pas le cas au XVIIème siècle comme le montre cette gravure.
Édifiée par Saint-Louis pour servir d'écrin aux reliques rapportées des croisades par le Roi en 1239, elle est devenue un musée qu'il faut absolument visiter, quoiqu'en soit la file d'attente quotidienne, car c'est une vraie merveille.
Pour l'anecdote, Bernadette nous explique que si l'achat des reliques coûta 135.000 livres tournois (l'équivalent de 3 millions d'euros) au roi, il lui en coûta 100.000 pour faire fabriquer la châsse et seulement 40.000 pour la construction la Sainte-Chapelle...
Nous étant approchés du Boulevard du Palais, nous voici devant les grilles dorées qui ceignent la cour du Mai (ainsi nommée parce que les Clercs du Palais y plantaient avant la Révolution, chaque année au moi de mai, un arbre de cinquante pieds de haut - d'environ 15 mètres - chargé de fleurs et d'écussons, l'occasion d'une grande fête).
Le portail central est surmonté d'un fronton doré portant la couronne et les fleurs de lys de la Royauté tandis que, de chaque côté, des faisceaux de licteurs arborent les deux symboles des sentences appliquées autrefois aux justiciables : la hache (pour la décapitation) et les verges (pour la flagellation).
Dans la Rome antique, les licteurs étaient chargés de protéger les magistrats ainsi que d'appliquer leurs sentences.
Bernadette nous entraîne ensuite vers la tour de l'Horloge située à l'angle du boulevard du Palais et du quai de l'Horloge. La plus ancienne horloge publique de Paris a été commandée en 1370 par Charles V à un horloger lorrain, Henri de Vic.
Les arbres qui bordent le boulevard du Palais empêchent parfois l'été certains de la remarquer, ce qui est dommage car elle est absolument magnifique.
Sur un fond de manteau royal bleu azur fleurdelisé, on remarque dans la partie haute deux angelots qui tiennent un bouclier portant deux blasons : l'un de la Couronne de France et l'autre de celle de la Pologne (Henri III était souverain de ces deux états).
En-dessous, une inscription en latin peut être traduite ainsi : « Celui qui lui a déjà donné deux couronnes lui en donnera une troisième ».
Le cadran doré date de 1585. Dans sa partie basse, deux statuettes : la Loi à gauche (avec sceptre, tablette et faisceau de licteur) et la Justice à droite (avec balance et épée).
L'inscription en latin peut se traduire par : « Cette machine qui fait aux heures douze parts si justes enseigne à protéger la Justice et à défendre les lois ».
Tournant le dos à la tour de l'Horloge et à son lanternon,
nous longeons maintenant le quai de l'Horloge en direction de l'entrée de la Cour de cassation. C'est par là (le clou de la visite, selon notre guide...) que nous allons commencer la visite du Palais de Justice.
Voici les tours jumelles (eh oui, nous en avons aussi !) : la tour de César (ainsi nommée parce que bâtie sur des fondations romaines) et la tour d'Argent (où était conservé le trésor de la Couronne).
Tout au bout du Palais, la tour Bonbec (ou Bon-bec) : c'est en son sein que se tenait la "Question" obligeant les suppliciés à parler...
Bernadette possède une riche iconographie : cette image montre qu'autrefois le Palais des rois de France était ceint de murailles au pied desquelles se trouvait le Jardin du Roi.
Le Mois de juin, calendrier des Très Riches Heures - à Paris, 1414-1416, Frères Limbourg, (Chantilly, Musée Condé)
Voici le fronton marquant l'entrée de la Cour de cassation au numéro 5 du quai de l'Horloge.
Après contrôle (au moyen d'un portique), le groupe s'arrête au pied de l'escalier d'Honneur.
Bernadette nous fait remarquer la belle rampe en fer forgé et la tapisserie des Gobelins (d'après un carton de François Boucher).
Adorables ces petits anges, si caractéristiques de la peinture de l'artiste...
Nous montons au premier étage...
(Photo empruntée au site de la Cour de Cassation)Le couloir d'accès à la Chambre du Conseil
Bernadette va alors nous expliquer par le menu
le fonctionnement de la justice en France.Il y a trois niveaux de jugements : le Premier jugement qui juge les litiges "simples" et les crimes, l'Appel (au cas où la partie civile ou la partie adverse contestent le premier jugement) et le Pourvoi en cassation (la Cour de cassation ne rejuge pas l'affaire mais vérifie que le jugement est bien conforme à la loi).
Au fond de la pièce, un buste d'Athéna symbolise la Justice.
Astucieux, ces petits tiroirs qui permettent de loger le matériel numérique des magistrats...
Bernadette nous montre aussi les décorations de la pièce avec, en particulier, les fresques murales représentant les différents Parlements (de Paris et des provinces). Elles ont été peintes d'après des dessins d'Albert Girard (1884).
Il faut savoir que les Parlements ont été supprimés à la Révolution.
Le Parlement de Paris dans l'île de la Cité au XVème siècle
On y voit Notre-Dame et les ponts de Paris alors couverts d'habitations.
Comme je suis attachée à la Bourgogne, j'ai photographié son Parlement !
De plus près...
(Photo du site de la Cour de cassation)Mes racines étant normandes, voici celui de Rouen.
(Photo du site de la Cour de cassation)Le plafond de cette Chambre est aussi remarquable avec, en son centre, les tables de la Loi portant les lettres JVS (Jus en latin : le droit) dans un soleil rayonnant.
Bernadette nous a aussi montré au plafond ce cartouche avec un bouclier portant un serpent en son centre (signe de la force sûrement) flanqué d'une main de Justice.
La main de Justice est un insigne du pouvoir royal en France utilisé depuis le XIIIème siècle lors du sacre. Symbole de l'autorité judiciaire, Il consiste en un sceptre terminé par une main dont les trois premiers doigts sont ouverts.
Sceptre et main de Justice de Charles V
Sur cet autre cartouche, un lion - autre signe de puissance - et un glaive, autre emblème de la Justice.
Nous rejoignons ensuite une autre pièce de cette prestigieuse institution qu'est la Justice, la Grande-Chambre aux dimensions impressionnantes : 23 m sur 13 m et 9 m 50 de hauteur.
Le plafond attire le regard : plus chargé que ça tu meurs !
Quand on parle des "ors de la République"...Au fond, une tapisserie des Gobelins dans un cadre doré intitulée "La France" sur un carton de Georges Rouget (1825)
Au centre du plafond, une très belle peinture commandée à Paul Baudry qui travailla aussi à la décoration du Foyer de l'Opéra. Elle représente "La glorification de la loi".
De plus près...
(photo du site de la Cour de cassation)La grande figure assise sur le piédestal à l’ombre des plis flottants de l’étendard national, représente la Loi. Au-dessus d’elle, deux figures allégoriques brandissent les attributs de la justice (main de justice, balance et glaive). A gauche du socle, l’Autorité s’appuie sur la hampe du drapeau, tandis que la jurisprudence lève un regard soumis vers la Loi qui lui intime une directive. Sur la droite, un magistrat en grand costume exprime le respect de la Cour en retirant sa toque. A ses pieds règnent la Paix et la Concorde.
Aux angles, quatre médaillons représentent les souverains qui ont marqué l'histoire du droit : ici, Charlemagne voisine avec une horloge assez remarquable.
Photo du site de la Cour de cassation
Ici, Saint-Louis
Les sièges des magistrats...
Nous avons dû entrer par une autre porte ?
Le hall de la Chambre Civile présente les portraits de différents magistrats (en retraite).
La Galerie Saint-Louis porte ce nom en raison d'une sculpture représentant le roi Louis IX rendant la justice au pied de son chêne.
La galerie est de style "Troubadour" : faux-plafond à caissons, colonnes peintes etc. lui donnent un petit air moyenâgeux.
Bernadette nous explique que le 1er janvier 1975 une bombe posée (par des corses il me semble me souvenir... ?) endommagea la statue qui... perdit la tête et la main droite ! Les réparations effectuées depuis ne rendent parait-il pas bien compte de ce qu'elle était auparavant.
De part et d'autre de la statue, deux tableaux peints par Luc Olivier Merson entre 1876 et 1877, représentent des scènes de la vie du Roi.
Le premier représente Louis IX punissant l'un de ses sujets, Enguerrand IV de Coucy (accusé d'avoir fait pendre sans jugement trois jeunes flamands qui avaient chassé sur ses terres)
Ah... là, c'est mieux, non ?
(Photo empruntée au site de la Cour de cassation)Sur l'autre, on voit le jeune Louis IX qui - à l’occasion de son avènement (1227) - fait délivrer des prisonniers (signé et daté 1876).
Photo empruntée au site de la Cour de cassation...
La galerie donne sur la Chambre criminelle voisine par de larges fenêtres, ce qui donne de jolis reflets grâce aux vitraux multicolores lui faisant face. On aperçoit, grâce à ces ouvertures, le plafond doré de l'architecte Duc.
On retrouve ici, sur un bouclier maintenu par des angelots, les emblèmes de la Justice : la main de Justice, le glaive et le mot LOI.
Voici maintenant la Chambre criminelle de la Cour de cassation : un drôle de mot me direz-vous... C'est là que sont jugées les infractions pénales (crimes, délits, contraventions)
Comme vous le voyez, sa taille est assez réduite.
Le plafond doré supporte des lustres assez sobres en fer forgé qui sont d'origine.
Il me semble avoir compris qu'en haut des lustres une décoration, également en fer forgé, simule le chapeau des magistrats.
Au plafond également, un rappel de la fonction de cette Chambre avec une Pelta (bouclier des Amazones en forme de croissant) portant une main de Justice et une torche (signifiant que la Justice permet de faire la lumière sur la vérité...).
Cette arme défensive est le symbole de la protection que garantit au peuple le maintien de l'ordre social.
Un petit résumé en images sur la Cour de cassation...
Nous quittons l'espace dédié à la Cour de cassation en empruntant la Galerie des Prisonniers par laquelle plus aucun prévenu ne passe plus désormais. On y voit de nombreux braseros : c'est vrai que l'hiver ces grands couloirs doivent être difficiles à chauffer !
Et maintenant, direction la Cour d'Assises
Voici la Chambre de la Cour d'assises que l'on voit régulièrement à la télévision lors des grands procès. Cette chambre statue en Premier jugement sur les affaires pénales les plus graves que la loi qualifie de "crimes".
Sont qualifiés de "crimes" : le viol, le meurtre (qui consiste à donner la mort volontairement) et l'assassinat (où la notion de préméditation est retenue) mais aussi les actes de torture, le vol avec l'usage d'une arme, les actes de terrorisme, le trafic de stupéfiants...
La photo est prise ici dans la direction de l'endroit où le Président de la Cour d'Assises et ses assesseurs siègent, entourés par les jurés.
Une vue vers le fond de la salle : au premier plan, la vitrine destinée à recevoir les pièces à conviction.
On remarque immédiatement le décor sur le mur : on peut y voir le roi Louis XIV (?) sur un "lit de justice". On appelait lit de justice dans l’ancienne monarchie une séance solennelle du Parlement où le roi siégeait sur une pile de coussins, entouré des grands du royaume et des ducs et pairs.
Bernadette nous explique le fonctionnement d'une séance de Cour d'assises : on voit juste en face les vitres blindées derrière lesquelles se trouvent les accusés.
L'espace pour le public, derrière la grille
C'est dans cette urne - que nous présente notre guide - que les magistrats tirent au sort les 6 jurés (+ 3 suppléants) parmi 36 noms inscrits sur de petite plaques. Il faut avoir plus de 23 ans et moins de 70 ans pour pouvoir participer à un jury d'assises et naturellement avoir un casier judiciaire vierge.
L'accusé (ou son avocat) peut décider de récuser 4 jurés tirés au sort (5 en appel). L'avocat général peut lui en récuser 3 (4 en appel). Les jurés récusés ne participeront pas au jury.
Notre dernière salle, celle des délibérés où se trouvent entassés des cartons renfermant les dossiers des affaires en cours. Le Président de la Cour, ses deux assesseurs, et les jurés s'y enferment pendant le temps nécessaire pour obtenir un vote à l'unanimité :
► Le premier vote porte sur la culpabilité ou non de l'accusé, présumé innocent jusqu'à la sentence.
► Le deuxième vote s'attache à la peine infligée et à sa durée.
Et cela peut prendre longtemps, du coup des assesseurs vous servent le café : la Justice chouchoute les jurés, elle en a besoin...
Nous avons eu la grande chance d'y voir passer un Président de Cour d'Assises, qui s'est rendu très disponible : nous avons pu lui poser toutes les questions qui nous venaient à l'esprit.
Trois témoignages d'anciens jurés interviewés sur France-Culture : intéressant
Un petit résumé sur le fonctionnement de la Cour d'assises
Nous voici maintenant dans le Vestibule de Harlay qui donne accès aux deux salles de la Cour d'assises.
Cette entrée est monumentale et doit impressionner les prévenus...
Au centre, l’Équité est entourée de deux cariatides qui représentent les magistrats. Au-dessus, l'urne dans laquelle les jurés sont tirés au sort.
A l'autre extrémité du Palais, voici la Salle des pas perdus : sous Philippe IV le Bel (au XIIIème) siècle il s'agissait de la plus belle salle du Palais.
Pour l'anecdote, c'est dans cette salle que fut créée la Farce de Maître Pathelin, première pièce comique du théâtre français.
Cette grande salle possédait une charpente en bois qui brûla en 1644, suite à quoi la voûte fut reconstruite en pierre. Bernadette nous en montre le dessin.
La charpente en bois de la Salle des pas perdus
L'heure tourne...
Avant de quitter la salle des pas perdus, Bernadette nous montre ce monument à l'avocat Berryer, réputé sous la Révolution pour son éloquence.
Une petite chose amusante : on voit représentée, sous le pied de l’Éloquence, la lenteur de la Justice personnifiée par... une petite tortue !
Nous terminons cette passionnante visite par la visite de la Grand-Chambre du Parlement de Paris (devenue sous la Révolution tribunal révolutionnaire) qui se trouve entre la tour César et la tour d'Argent, dans laquelle Marie-Antoinette fut entendue le 14 octobre 1793 et condamnée à la guillotine.
Le groupe est assis sur les sièges réservés aux magistrats, faisant face aux accusés.
Une documentation que nous montre Bernadette : Séance royale dans la Grand-Chambre du Parlement de Paris sous Philippe d'Orléans
En couleurs maintenant...
Marie-Antoinette sortant du Palais de Justice à l'issue de son procès : la charrette l'attend en haut des marches...
Et justement, les marches les voilà !
Un grand merci à Bernadette Verdeil pour sa gentillesse et sa disponibilité. J'ai vraiment adoré cette visite qui m'a beaucoup appris.
Tags : Palais de Justice, Paris, Cour de cassation, Cour d'Assises, Tour de l'Horloge, Tour Bonbec, Grande-Chambre, Galerie Saint-Louis, Marie-Antoinette
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Commentaires
2JOMercredi 29 Mai 2019 à 21:054vialaMercredi 29 Mai 2019 à 22:00Je n'ai pu venir et ton reportage compense .Tu as fait un gros travail ! merci . Anne
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Mercredi 29 Mai 2019 à 22:35
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5JeanneLundi 10 Juin 2019 à 23:23Merci avec retard. Nous avons eu de la chance au cours de cette superbe visite, mais de la chance aussi ensuite de pouvoir profiter de ce compte-rendu extra et si bien documenté !....
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Mardi 11 Juin 2019 à 23:16
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Bravo et félicitations pour ton érudition
Hélas, elle est très volatile... d'où le blog. Merci