Ce samedi après-midi, la Grande Galerie de l'Evolution proposait gratuitement aux parisiens dans son auditorium un film intitulé "The Muschroom speaks" par la réalisatrice et artiste allemande Marion Neumann.
Son travail, enraciné dans l'expérience personnelle, navigue entre des approches documentaires et expérimentales, et cherche à tisser des récits entre la science, la poésie et les questions sociales contemporaines. Basée à Genève, elle a cofondé un collectif d'artistes et mène régulièrement des travaux autour des champignons ou d'autres êtres vivants.
J'ai donc visionné ce film d'une durée d'une heure et demie puis assisté au débat et je dois dire que j'ai préféré le débat même si, bien sûr, j'ai beaucoup appris du film.
Vous allez peut-être rire... mais j'ai découvert comme Monsieur Jourdain que je vis dans l'Anthropocène sans le savoir depuis 72 ans ! Il s'agit en effet de cette période de l'histoire de la Terre pendant laquelle l'impact de l'activité humaine se fait sentir sur l'écosystème. Bref, vous l'aurez compris : il s'agit ici de parler d'écologie... mais pas que.
J'ai aussi réappris le mot "mycorhize" : il s'agit d'une symbiose permise par un groupe particulier de champignons microscopiques présents dans le sol avec les racines des plantes. Depuis des millions d'années, ils forment pour ainsi dire un lien entre le sol et la plante en se développant dans et autour de la racine de la plante de manière à pouvoir échanger avec elle les nutriments. D'après les estimations, quatre-vingt pour cent des plantes sur la terre vivent par mycorhization, ce qui indique que cette interaction est essentielle pour les deux partenaires. Il s'agit d'un échange donnant-donnant : la plante fournit des nutriments sous forme de sucres au champignon, qui, en retour, l'aide à absorber l'eau et les minéraux du sol.
► Et si les champignons pouvaient nous aider à changer notre société... ? C'était le sujet du film et le propos du débat qui a suivi.
Marion Neumann et Laurent Palka (Maître de Conférences du Muséum) ont répondu aux questions de l'animateur et à celles du public.
C'est ainsi que j'ai appris que le phosphate, tant utilisé par les agriculteurs, était à terme nocif pour les cultures (sans parler de l'impact sur l'eau des lacs qui se remplissent d'algues vertes). En effet, il se transforme en phosphore (élément chimique nécessaire à la vie cellulaire) grâce à la symbiose entre les plantes et les mycorhizes. Or, les apports excessifs d'engrais phosphatés diminuent la population de mycorhizes dans le sol, rendant inopérante cette étape clé du cycle du phosphore. Les plantes cultivées ne peuvent ainsi plus profiter de ce mécanisme et ne peuvent plus assimiler le phosphore autrement que par de nouveaux apports massifs de phosphates.
Le serpent qui se mord la queue, en quelque sorte !
Par ailleurs, Laurent Palka a mis le doigt sur un problème sérieux : les engrais minéraux à partir de phosphates proviennent de mines de phosphore (minerai de phosphate) accumulé au fil du temps suite à la fossilisation d'animaux. Ces mines connaissent une exploitation de plus en plus rapide faisant craindre une pénurie à venir...
J'ai aussi appris que le travail du sol par les agriculteurs brisait le mycélium et enfouissait les spores dans des zones peu favorables à leur environnement. Mon dieu, que tout ceci est compliqué...
Le même agriculteur (PhD tout de même) nous a raconté qu'en 2003, suite à la grande sécheresse, son champ de maïs n'avait pu résister mais que la forêt voisine (qui vit en symbiose avec des champignons comme toute bonne forêt qui se respecte) s'en était trouvée beaucoup mieux...
Merci les champignons !
Il a aussi été question de psilocybine : quesako me direz-vous ? Il s'agit d'un alcaloïde, principe actif de certains champignons hallucinogènes !
Bref, comme diraient les jeunes : "j'ai grave fait travailler mes neurones" !
Pour le fun, je vous mets la bande-annonce du film mais... attention : il est en anglais... Heureusement, nous avons eu droit à la version française.
Le titre du film : The mushroom speaks (le champignon parle) vient de ce que dans son film Marion Neumann a donné la parole à l'américain Térence McKenna, écrivain et philosophe, qui avait des idées très particulières sur les champignons et leurs inter-relations avec les humains. Il faut dire qu'il a vécu, à une époque, de la culture des champignons produisant la psilocybine.
Térence McKenna faisait parler les champignons.
« Je suis vieux, plus vieux que l’émergence de la pensée dans votre espèce, qui est cinquante fois plus vieille que votre histoire. Bien que je sois sur terre depuis des temps immémoriaux, je viens des étoiles. Ma demeure n’est pas une planète unique, car une pléthore de mondes éparpillés dans le disque étincelant de la galaxie possèdent des conditions qui confèrent à mes spores une opportunité de vivre. Le champignon que vous voyez est la partie de mon corps qui se donne aux frissons du sexe et aux bains de soleil; mon corps véritable est un fin réseau de fibres qui croissent dans le sol. Ces réseaux peuvent couvrir des hectares et ils possèdent plus de connexions que n’en contient le cerveau humain. »
« L’espace, voyez-vous, est un vaste océan pour ces formes de vie robuste qui ont la capacité de se reproduire à partir de spores car ceux-ci sont recouverts de la substance organique la plus dure jamais connue. Au travers des éons de l’espace et du temps, dérivent de nombreuses formes de vie sporulantes en animation suspendue durant des millions d’années jusqu’à leur rencontre avec un environnement adéquat. »
« Les relations symbiotiques entre moi-même et des formes civilisées d’animaux supérieurs ont été établies de nombreuses fois et en de nombreux espaces au fil des longues périodes de mon développement. »
On en apprend tous les jours !
Cela dit, j'espère ne pas avoir trop dit de bêtises dans ce post...
PS : un lien ICI pour en savoir plus sur les mycorhizes.