Anne-Marie avait-elle commandé le beau temps pour la promenade qu'elle encadrait ce vendredi ? En tout cas, il était là et ce fût un plaisir de flâner en bonne compagnie (je n'ai pas compté mais nous étions très nombreux à être au rendez-vous...) de passages en passages dans le quartier du Faubourg Saint-Antoine.
Mais pourquoi ce nom de Faubourg Saint-Antoine ?
Le nom vient de l'ancienne abbaye Saint-Antoine-des-champs (à l'actuel emplacement de l'Hôpital du même nom), détruite à la fin du XVIIIème siècle, et plus précisément du faubourg qui se développa à proximité, du fait principalement de l'exemption pour ses artisans des réglementations corporatives.
Partis de la place de la Bastille (rendez-vous avait été donné devant les marches de l'Opéra), nous voici tout de suite dans le vif du sujet.
On entre dans la Cour Damoye par le N°12 de la place : c'est une rue privative, à l'abri du tumulte dû à une circulation intense dans le quartier, qui abritait autrefois des ateliers d'artisans (menuisiers, ébénistes et ferrailleurs). Elle a été inaugurée en juin 1999 après une réhabilitation, sauvée in extremis de la démolition envisagée par des promoteurs peu soucieux du patrimoine parisien...
Tout au bout de la rue se trouve la célèbre rue de Lappe qui doit son nom à un maraîcher, Gérard de Lappe, qui y possédait des jardins.
Originellement peuplée de ferrailleurs, beaucoup de bretons et d'auvergnats vinrent ensuite s'y installer, ouvrant des "cafés bois-charbon" : tandis que le mari faisait les livraisons, la femme tenait le comptoir !
Ces devantures de magasins témoignent de ce passé.
Dans les années 30, de nombreux bals s'y intallèrent : le Balajo (du nom de son propriétaire, Jo France) a fêté ses 75 ans en 2011...
C'est au 51 de la rue de Lappe que naquit Francis Lemarque. Le compositeur créa d'ailleurs une chanson qui porte ce titre, reprise par Mouloudji.
Débouchant sur la rue de Charonne, nous empruntons maintenant le passage Lhomme.
Comme tous les passages du Faubourg, celui-ci abrite des ateliers artisanaux.
On peut y voir une grande cheminée d'usine.
Au détour de l'avenue Ledru-Rollin...
Nous avons maintenant rejoint le Faubourg Saint-Antoine. Au N°95 se trouve la Cour de l'Ours qui doit son nom à la sculpture de sa façade. Ne me demandez pas pourquoi...
Le m² y est à 7829 euros d'après "Les meilleurs agents"...
Au 81, la Cour des trois frères (ainsi nommée car le propriétaire du terrain, M. Viguès, avait trois fils) a été ouverte sur une centaine de mètres en 1855.
Même si elle est consacrée aux métiers du meuble, la Cour accueille (et ça se voit !) la boutique d'un grand coiffeur, Toni and Guy, qui a apposé son enseigne sur l'une des trois verrières qui la décorent.
Traversant la rue, nous passons devant l'angle d'un immeuble joliment décoré d'une statue de Saint-Nicolas : l'évêque veille sur le passant...
Dans la rue du même nom, le Carré Saint-Nicolas offre une belle façade du XVIIIème.
Si l'on réussit à entrer à la faveur d'une livraison, on peut lécher la vitrine d'un très beau magasin de décoration intérieure : il s'agit de "Ralph Lauren Home".
Dans la rue Saint-Nicolas également une superbe devanture : celle de Houlès où l'on trouve forcément le tissu ou la passementerie recherchés (à condition toutefois d'avoir un porte-monnaie bien garni !)
Revenant sur le Faubourg, la Cour des Shadoks tire son nom de la célèbre série télévisée créée par Jacques Rouxel qui y habita (et à laquelle Claude Piéplu prêta sa voix). Actuellement ce sont des galeries d'art qui s'y sont installées au rez-de-chaussée tandis qu'en étage il y a des lofts...
Une sculpture de Bertrand Biss
Eh oui... Nous étions nombreux à faire cette sortie (j'ai mis le masculin car quelques rares hommes se cachent derrière toutes ces femmes !)
Deux pas plus loin, une porte cochère monumentale cache une entrée d'immeuble magnifiquement sculptée donnant accès à la Cour des Bourguignons.
Cet ensemble constitue un remarquable témoin des grandes cours industrielles ordonnancées autour d’une haute cheminée, symbole de l’activité manufacturière de la seconde moitié du XIXe siècle.
La Fontaine de Charonne (aussi appelée Fontaine Trogneux) date de 1720. Elle se trouve au coin de la rue de Charonne et de la rue du Faubourg Saint-Antoine.
Près du sol, deux mascarons de bronze à tête de lion sont chargés de cracher l'eau qui s'évacue dans une grille du sol.
Non loin de là, au niveau du métro Ledru-Rollin, le Passage du Chantier ainsi nommé car il abritait autrefois un chantier de bois à brûler (de grands fours y étaient installés, servant à brûler les copeaux et les chutes de bois inutilisables pour éviter les incendies). Cette petite rue pavée est un havre de paix où les artisans du bois se sont installés de longue date (à l'heure actuelle elle est occupée par des marchands de meubles).
Toujours au niveau du métro Ledru-Rollin, voici l'immeuble qui abrite les locaux parisiens du grand architecte Jean-Michel Villemotte.
Non non et non : je ne vous ferai grâce d'aucune cour... Voici celle du Bel-Air, un nom charmant n'est-ce pas ? Il provient du nom de celui d'un hôtel particulier du XVII ème siècle. Si d'extérieur, l'entrée de la cour ne casse pas trois pattes à un canard comme on dit, on découvre en s'y aventurant une courette pavée abritant de jolis petits immeubles de trois étages seulement couverts de vigne vierge en été (il faudra y revenir...) et joliment arborée : la légende en fait le lieu d'habitation des Trois Mousquetaires...
Allez, on change de siècle : passons au XXème avec cet immeuble abritant les Ateliers de Paris, carrefour des jeunes entreprises de la Création
Nous quittons maintenant le faubourg Saint-Antoine pour rejoindre la rue de Charenton par le Passage de la Boule Blanche qui tire son nom de l'enseigne qui figurait sur la maison dans laquelle il a été percé en 1700.
Au sortir du passage, voici l'entrée de l'Hôpital des Quinze-Vingts spécialisé en Ophtalmologie. Il ne reste de l'ancienne caserne des Mousquetaires du Roi que le porche d'entrée.
Mais d'où vient donc ce nom bizarroïde de Quinze-Vingts ? Et bien, figurez-vous que l'hospice, fondé au XIIIème siècle par Saint-Louis, pouvait accueillir 300 aveugles : 300 lits, cela correspondait à l'époque (dans le système vigésimal alors utilisé) à 15 fois 20 lits... C'est tellement simple qu'on aurait dû y penser avant ! (mais tout de même, merci Anne-Marie pour cette explication !)
Continuant la rue de Charenton, nous aperçevons au passage la Cour du Chêne Vert, reliquat du Passage du même nom tronqué suite au percement de l'avenue Ledru-Rollin.
Cette Cour tire son nom d'un chêne d'une ancienne plantation abbatu en 1840. Ici, le prix du m² donné par "Meilleurs Agents" frôle les 8000 euros...
Mais où Anne-Marie nous emmène-t-elle et qu'est-ce que ce "Grand Lavoir du Marché Noir" ? Vous l'aurez deviné : un plaisantin a effacé une partie des lettres...
Seule la façade de cet ancien lavoir situé au N°3 de la rue Cotte (construit originellement en 1830 au N°9 de la même rue) a été conservée. Il aurait dû être détruit en 1843 suite à la reconstruction du Marche d'Aligre mais une protestation des riverains déboucha sur ce compromis...
Au bout de la rue, le clocher central de la petite Mairie d'Aligre fait face au Marché d'Aligre situé sur la place du même nom.
C'est en 1781 que des terrains furent achetés à Gabrielle-Charlotte de Beauvau Craon, Abbesse de l'Abbaye de Saint-Antoine, pour y construire un marché qui prit son nom pour faire face à l'accroissement de la population du Faubourg Saint-Antoine. L'actuel marché couvert a été reconstruit en 1843 par Marc Gabriel Jolivet sur les ruines du marché précédent.
Une vingtaine de marchands sont installés à l'intérieur du marché couvert : poissonneries, fromager, épiceries fines italienne, portuguaise et créole, boucheries, charcuterie, primeurs, fleuristes... tandis qu'à l'extérieur on peut trouver les primeurs à des prix au kilo défiant toute concurrence... Le marché d'Aligre est ouvert tous les jours sauf le lundi et c'est, paraît-il le dimanche midi qu'on y fait les meilleures affaires.
Chemin faisant, nous voici arrivés au Square Armand Trousseau (il longe sur l'un de ses côtés le Faubourg Saint-Antoine). On peut y admirer d'élégantes façades d'immeubles décorées de mosaïques.
Rejoignant le Faubourg, nous arrivons au niveau du N°151 où une "pelle" de la Ville de Paris rappelle qu'ici mourut le Député Alphonse Baudin le 3 décembre 1851 au lendemain du coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte.
Alors que, depuis une barricade, il enjoignait en tant que député de l'Ain et appuyé en ceci par Victor Schoelcher les ouvriers du Faubourg à s'insurger, ceux-ci se moquèrent de lui, lui reprochant son indemnité parlementaire journalière : c'est alors qu'une balle l'atteignit tandis qu'il prononnçait une phrase qui restera dans l'histoire : "Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs".
Tableau d'Ernest Picchio représentant le député Baudin sur la barricade
Notre visite du Faubourg se termine presque... mais avant de se quitter, nous empruntons un dernier passage : le Passage Saint-Bernard nous permet de rejoindre l'église Sainte-Marguerite, située dans le 11ème arrondissement cette fois-ci.
L'église Sainte-Marguerite date du début du XVIIème siècle. Elle est dédiée à Marguerite d'Antioche, vierge martyre qui vécut au IVème siècle.
En 1760, Victor Louis, l'architecte du théâtre de Bordeaux, construit la chapelle des Âmes-du-Purgatoire toute en trompe l'oeil. La récente restauration (elle date de 2011) met en valeur l'architecture de la chapelle ainsi que ses peintures dues à Paolo-Antonio Brunetti.
Pendant la révolution les corps de 300 personnes guillotinées sur la place de la Bastille et la place du Trône-Renversé (actuelle place de la Nation) furents enterrés dans le cimetière attenant à l'église (dans une fosse commune). Selon la légende, le jeune Louis XVII y aurait été inhumé après sa mort à la prison du Temple et effectivement un enfant mort au donjon du Temple y est en effet inhumé, sans service religieux mais des exhumations réalisées en 1846 et 1894, confirmées par des fouilles en 1979, mettent au jour les restes d'un jeune homme de 15 à 18 ans : or Louis XVII était âgé de 10 ans au moment de sa mort...
Malgré ces démentis, une plaque commémorative posée sur le mur de l'église affirme toujours que "l'enfant mort au Donjon du Temple" y a été inhumé en 1795.
Notre promenade s'achève à l'Hôtel de Mortagne situé au 53 rue de Charonne. Il s'agit d'un Hôtel Particulier construit en 1661 par le neveu de François Mansart pour le Chancelier du duc d'Orléans, Jacques Nourry (on l'appelait alors la Folie Nourry). Il est acheté en 1711 par le Comte Antoine de Mortagne puis par Jacques de Vaucanson, inventeur et mécanicien célèbre qui y résida de 1746 jusqu'à sa mort en 1782. Ce dernier construisit dans cet Hôtel une grande partie de ses automates. L'hôtel de Mortagne est sous Louis XVI l'ancêtre du Musée des Arts et Métiers. Sa façade a malheureusement été cachée suite à la vente de la partie du terrain donnant sur la rue de Charonne et à la construction d'un immeuble de 6 étages dans les années 60... On peut cependant l'apercevoir depuis le passage Charles-Dallery.
Je me suis amusée à dessiner le parcours que nous avions fait !
Cette visite donne un goût de "revenez-y", non ? D'autres passages sont sûrement encore à découvrir dans ce quartier du meuble qui change hélas de jour en jour : l'implantation de l'Opéra dans ce quartier a fait venir des enseignes qui n'ont plus rien à voir avec l'âme du Faubourg si bien décrite par Jean Diwo dont je vous conseille les livres (la trilogie des Dames du Faubourg et en particulier "249, faubourg Saint-Antoine" qui raconte sa jeunesse au sein d'une famille dont le père est parti à la guerre...),
Merci pour ce guidage bénévole Anne-Marie : il fut fort sympathique et instructif.