Ce mardi après-midi, la pluie s'est invitée à la balade que nous proposait Michel Duffau dans le cadre des "Petites promenades dans Paris" de mon association, Générations 13.
Nous sommes une dizaine à nous être inscrits à cette visite de l'intérieur de trois églises parisiennes situées au centre de la capitale dans le quartier latin : Saint-Séverin, Saint-Julien-le-Pauvre et Saint-Etienne-du-Mont.
Michel nous a donné rendez-vous à la station Cluny-La Sorbonne. Il nous emmène tout d'abord rue de la Huchette qui tire son nom d'une enseigne attestée de la fin du XIIIe siècle "La Huchette d'or".
Connaissez-vous la chanson d'Yves Simon intitulée "Rue de la Huchette" ? Elle date de 1973 et rend bien l'ambiance qui régnait dans ce lieu autrefois...
Dans le rue de la Huchette deux hauts lieux de la vie nocturne parisienne :
► Le théâtre de la Huchette a été créé en 1948 : c'est ici que depuis plus de 65 ans deux pièces d'Eugène Ionesco, "La Leçon" et "La Cantatrice chauve", sont jouées chaque soir, comptant à ce jour plus de 20 000 représentations, une longévité unique dans l'histoire mondiale du théâtre. Ces deux pièces détiennent le record du monde du spectacle joué sans interruption dans un même lieu.
► Le Caveau de la Huchette, créé également en 1948, est un club de Jazz installé dans une cave dans lequel tous les grands musiciens du genre se sont produits : Lionel Hampton, Count Basie, Art Blakey, Memphis Slim, Bill Colleman, Rhoda Scott, Claude Luter, Claude Bolling etc.
Une photo que j'ai empruntée à Monick...
Au N°14 de ladite rue, à l’angle de la rue du Chat-qui-Pêche, un médaillon plaqué sur la façade est orné d’un Y, rébus pour "lies-grègues", lacets de fixation entre culottes et hauts-de-chausse vendus par les merciers.
Autrefois, on appelait en effet les hauts-de-chausses (vêtement masculin qui allait de la ceinture aux genoux) des "grègues" ou "grèques", à cause de la ressemblance avec les courtes et larges culottes des Grecs. Le nœud de ruban vendu par les merciers pour l’attacher au pourpoint (vêtement masculin du haut du corps porté par les hommes au Moyen-Age), se nommait lie-grèques, d'où le jeu de mots, un peu tiré par les cheveux, mais qui fonctionne !
Si les enseignes et leur signification vous intéressent, vous pouvez cliquer ICI pour lire l'article très intéressant fait par Danièle Sallenave de l'Académie française sur le sujet.
Nous rejoignons ensuite l'église Saint-Séverin dont nous visiterons l'intérieur assez rapidement, le but de Michel étant surtout de nous emmener voir l'ancien cimetière attenant. L'église Saint-Séverin présente en effet la particularité, exceptionnelle à Paris, d'avoir conservé quasiment intact l'emplacement de son cimetière et de son charnier.
L'église tire son nom de l'ermite Séverin qui, au VIe siècle, avait l'habitude de prier dans un petit oratoire rudimentaire. Après sa mort, une basilique (d'abord une chapelle) est érigée sur les lieux.
Détruite par les Vikings lors du siège de Paris (885-887), l'église est reconstruite au XIIIe siècle en ce qui concerne le clocher et les trois premières travées de la nef et dans la seconde moitié du XVe siècle pour le reste (photo ci-dessous).
Par chance, la Révolution ne l'endommagera pas.
Michel nous montre, au niveau des chapelles latérales, les vitraux contemporains de Jean Bazaine (1904-2001) posés en 1970, une commande du curé de la paroisse, qui représentent les sept sacrements. Pour info, la voûte de la station de métro Cluny-La Sorbonne a également été décorée par Jean Bazaine (il s'agit alors de mosaïques).
L'église est réputée pour son chœur entouré de la forêt de colonnes du double déambulatoire (XVe siècle). Au centre, une superbe colonne torsadée éclairée par une lumière artificielle. En arrière-plan, les vitraux de Jean Bazaine illuminent le déambulatoire.
On parle ici parfois de la "palmeraie" de Saint-Séverin.
Michel nous emmène ensuite voir le jardin adjacent situé au sud de l'église entre les rues Saint-Jacques, de la Parcheminerie et des Prêtres-Saint-Séverin.
Construites à la fin du XIVe siècle, trois galeries voutées d’ogives entouraient le cimetière à la manière d’un cloître. Au centre étaient des fosses communes où l'on enterrait les petites gens. Les galeries voûtées d'ogives ceinturant cet espace étaient réservées aux plus aisés. Vers 1763, environ 250 personnes étaient inhumées chaque année dans le cimetière.
Jusqu'au début du XXe siècle, les galeries étaient surmontées de deux étages de logements réservés aux prêtres (ici, une photo prise en 1907).
Nous rejoignons ensuite l'église Saint-Julien-le-Pauvre voisine dans laquelle nous trouvons un abri contre la pluie qui ne cesse de tomber...
Tout comme Saint-Séverin, elle ne possède pas de transept. Il s'agit en fait d'une église de confession orthodoxe dans laquelle les fidèles sont séparés du clergé par une iconostase. L'iconostase est une cloison porteuse d'icônes héritière de la balustrade en bois ou en pierre qui, dès le IVe siècle au moins, séparait le sanctuaire de la nef. Elle est ici éclairée par des lampes.
Deux portes donnent accès au prêtre qui officie derrière.
Les icônes sont un symbole que l’on vénère - et non des idoles - à l’inverse de l’adoration qui est due à Dieu seul.
A gauche de l'iconostase, une icône représente Saint-Julien-l'Hospitalier, Patron des bateliers, des voyageurs et des aubergistes.
D'après sa légende que je simplifie ici, Julien était un noble chasseur à qui un cerf aurait prédit qu'il tuerait ses père et mère. Après avoir fui son pays pour éviter ce crime, il les aurait tués par erreur ; en expiation, il aurait fondé un hôpital dans un lieu retiré où il se fit passeur (d'où le sens de cette icône).
De l'autre côté, une icône représente une Vierge à l'Enfant.
Un joli chapiteau sculpté
A la sortie de l'église, un objet en cuivre très élégant sert à conserver le pain bénit que les fidèles emportent chez eux à la table du foyer familial, un rite perdu dans la religion catholique mais qui perdure ici.
L'église était assez sombre, je n'ai pas vraiment distingué son cabochon mais il est très fin.
A la sortie, un peu de soleil enfin !
Michel nous montre différentes photos d'iconostases en France et dans le monde. Sur cette page, la cathédrale russe orthodoxe de Nice.
Une merveille d'architecture édifiée par le tsar Alexandre II en souvenir de l'endroit, proche, où son fils le tsarévitch Nicolas mourut d'une méningite.
En voici l'iconostase
Paris et sa banlieue possèdent, outre Saint-Julien-le-Pauvre, de nombreuses églises orthodoxes. La Cathédrale Alexandre Nevsky, située rue Daru, en est une : en voici l'iconostase.
Il y a aussi la récente Cathédrale de la Sainte-Trinité, voisinant la tour Eiffel, aux bulbes dorés, une commande de Bertrand Delanoë alors maire de Paris, édifiée par l'architecte Jean-Michel Wilmotte dont voici l'iconostase.
J'aime beaucoup celle de l'église orthodoxe russe Saint-Nicolas de Toulouse.
J'arrête là avec les églises orthodoxes qui sont également pléthore de par le monde, en Russie, en Roumanie, en Bulgarie, en Grèce, en Albanie, en Turquie, en Pologne...
Non loin de là, rue Galande, le club de jazz "Aux Trois Mailletz" est installé dans des caves médiévales authentiques du XIIIe siècle. Il a accueilli lui aussi tous les grands du Jazz. Le club des Trois Mailletz a aussi permis à des chanteurs et des poètes de se produire alors qu'on les refusait ailleurs. Ainsi, Léo Ferré, Catherine Sauvage, Jean-Roger Caussimon, Nina Simone y ont-ils donné plusieurs spectacles. Il a aussi vu les débuts de Zaz et de Dany Brillant.
Très élégant ce portail : Michel nous dit que Claude Nougaro a habité ici les cinq dernières années de sa vie en compagnie de son épouse, Hélène Nougaro.
Nous voici arrivés en vue de Notre-Dame dont les échafaudages de la flèche viennent d'être retirés partiellement (300 tonnes tout de même...).
Au premier plan, dans le square Viviani, le plus vieil arbre de Paris, un robinier faux-acacia, est désormais muni d'une béquille en béton : il faut dire que, envoyé sous la forme d’une graine depuis l’Amérique (région des Appalaches - sud des Etats-Unis) à Jean Robin (1550-1629), herboriste d’Henri IV, il réside à ce jour à Paris depuis quelque 423 ans !
Son nom latin est "Robinia" : il a été adopté par Linné, un herboriste du XVIIe siècle en hommage à Jean Robin qui l'avait planté en 1601.
Le printemps pointe le bout de son nez au square Viviani (homme d'état français ayant signé l'ordre de mobilisation générale le 1er août 1914).
Au centre, une fontaine de bronze moderne du sculpteur Georges Jeanclos (1995) remplace maintenant l'ancienne fontaine Wallace. J'avoue que je ne l'avais jamais remarquée et pourtant elle ne manque pas d'originalité. Le sculpteur, d'origine juive, a été marqué par le passé de sa famille pendant la deuxième guerre. Il sculpte ici des enfants se prenant dans les bras, comme acte d'amour en réaction à l'holocauste.
Un dernier regard vers Notre-Dame
Il y a la queue devant la librairie "Shakespeare and Company" située rue de la Bûcherie : elle porte ce nom depuis 1964, date du 400e anniversaire de William Shakespeare, même si elle a été créée bien avant la guerre et sert à la fois de librairie et de bibliothèque spécialisée dans la littérature anglophone. Depuis 2015, un café y a été adjoint avec une vue imprenable sur Notre-Dame : ce dernier sert principalement des plats végétariens, avec des options vegan et sans-gluten.
La librairie est également devenue un asile pour les écrivains-voyageurs qui souhaitent y rester quelques nuits. En contrepartie, il leur faut respecter certaines conditions comme lire un livre par jour, aider deux heures à la boutique, et rédiger une page autobiographique en y joignant une photographie.
Nous remontons ensuite la rue des Carmes jusqu'au Panthéon. Michel nous signale au passage au N°8 un magasin de magie "Mayette Magie Moderne". J'ai cru comprendre que comme Obélix il était tombé dedans quand il était petit...
Un peu plus loin, nous passons devant l'église Saint-Ephrem-le-Syriaque, dont le portail est copié sur celui de l'église romaine Saint-André du Quirinal à Rome (une œuvre du Bernin).
Nous voici arrivés sur la place dominant la montagne Sainte-Geneviève. Devant nous l'église Saint-Etienne-du-Mont et la tour Clovis, dernier vestige de l'ancienne abbaye Sainte-Geneviève.
Une rue a en effet été percée au XIXe siècle entraînant la démolition de l'abbaye (qui tombait plus ou moins en ruines) et la tour Clovis fait maintenant partie intégrante du Lycée Henri IV. Remplaçant un édifice du XIIIe siècle, elle est construite à partir de la fin du XVe siècle, et sert de paroisse aux habitants du quartier. Après avoir été brièvement transformée en temple de la Piété filiale sous la Révolution, elle est rendue à ses fonctions d'église paroissiale en 1801 et n'a pas changé d'affectation depuis.
A l'intérieur, nous sommes éblouis par la magnificence du lieu, le regard se portant tout naturellement vers le chœur où subsiste un magnifique Jubé (1530-1540). Un jubé est une clôture séparant la nef du choeur, un peu comme le fait l'iconostase dans les églises orthodoxes.
Il s'agit du seul jubé subsistant dans les églises de Paris : il conjugue une structure gothique avec une ornementation Renaissance.
Il faillit bien être détruit car le Concile de Trente (1542-1563) eut à cœur de faire disparaître cette barrière pour réunir la communauté lors des offices mais l'unanimité n'était pas faite, d'autant plus qu'une perte substantielle de revenus était à craindre. En effet, des particuliers louaient des emplacements sur la tribune du jubé, ce qui rapportait 60 à 80 livres par an à la fabrique de l'église.
Michel nous signale que le jubé de Notre-Dame a été détruit au cours des siècles (en 1548-1550 et en 1789) pour être remplacé, à la demande de Louis XIV par une grille en fer forgé. Lors des fouilles récentes qui ont été effectuées après l'incendie de la cathédrale, les archéologues en ont trouvé des fragments. Le temps étant compté, tout a été recouvert...
La chaire à prêcher est du maître-menuisier Germain Pillon (1651).
La cuve à prêcher est soutenue par un Samson, très costaud évidemment,
et très expressif.
Dans la partie sud de l'église un vitrail représente les deux églises avant le percement de la rue Clovis.
La procession de la châsse (1882)
Et justement, juste à côté se trouve la châsse, en cuivre, de Sainte Geneviève, vide de ses reliques depuis la Révolution.
La Patronne de Paris (et des gendarmes !) naquit à Nanterre vers 420, issue d'une riche famille aristocratique gallo-romaine. A quinze ans, elle consacra sa vie au Seigneur et s'installa dans Paris dès l'âge de 20 ans. En 451, elle réconforta le peuple effrayé par la menace que faisait peser Attila sur toute la vallée de la Seine. En 465, elle sauva aussi les parisiens de la famine en allant, par la Seine, chercher des vivres jusqu'en Champagne alors que Paris était assiégée par Childéric Ier. Dans sa vieillesse, elle noua des liens d'amitié avec le roi Clovis et la reine Clothilde, raison pour laquelle elle fut inhumée dans l'abbaye voisine, actuel Lycée Henri IV.
Voisine de la châsse de Sainte-Geneviève une très jolie chapelle de style gothique flamboyant : l'église est tellement riche qu'il faudrait plusieurs jours pour la visiter par le menu...
Nous faisons le tour du déambulatoire...
éclairé de ce côté-ci par des verrières datant du XVIe siècle.
Toute l'église est cernée par une coursive ornée d'élégants balcons.
Michel nous entraîne ensuite du côté de la chapelle des Catéchismes construite en 1857 par Victor Baltard. Cette chapelle était réservée à l'enseignement de la religion aux enfants sous l'impulsion de Louis-Philippe.
Je n'étais jamais venue jusqu'ici...
Lui faisant face, la galerie des Charniers (un petit cimetière se trouvait ici autrefois) où se trouve une très belle collection de vitraux peints à l'émail de la fin du XVIe siècle ou du début du XVIIe. Mutilés et dispersés à la Révolution, ils furent à nouveau réunis en 1834 : il n'en reste plus que 12 sur les 22 initiaux.
Le miracle des Billettes à gauche : La seule réalité attestée serait qu’une personne juive, inculpée de profanation d'hostie, a bien été jugée à Paris en 1290.
et l'arche de Noé à droite
Le serpent d'airain (L'histoire raconte l'un des nombreux moments où les Israélites ont douté de Dieu et où Moïse s'est adressé à lui pour les sauver.)
Le Christ lavant les pieds des apôtres (à gauche)
Je m'arrête là avec les vitraux car je ne suis pas très experte en religion...
Un grand merci à Michel pour cette visite fort agréable.