Ce lundi matin, nous avions rendez-vous à l'entrée de l'Hôpital Cochin avec une représentante de la la Société d'Histoire et d'Archéologie du 13ème - à laquelle nous venons d'adhérer - pour une visite détaillée des Carrières des Capucins. Au final, j'ai dû faire cette visite en solo, dommage pour Philippe car elle était très intéressante et elle ne se refera peut-être pas de si tôt, les lourdeurs administratives provenant de la mairie de Paris, dues aux conditions de sécurité, en étant la cause.
Notre guide est un agent de la Sncf : il se présente comme "accrocheur de wagons" mais nous verrons qu'il est bien plus que cela, un puits de science en tout cas concernant ce domaine dont il s'est amouraché depuis fort longtemps.
Il fait partie des quelques bénévoles de la SEADACC, traduisez par Société d'Etudes et d'Aménagement des Anciennes Carrières des "Capucins", qui œuvrent à la restauration et à l'entretien de ces carrières qui, situées sous Paris, font de notre capitale la seule ville au monde majoritairement construite sur un vide !
Le voici, in situ, nous montrant un plan de Paris où sont indiqués les lieux d'extraction des roches sur les deux rives de la Seine.
Voici comment se présente le sous-sol de Paris : plein de trous !
Sur la rive droite étaient exploités le gypse (en vert sur la carte) et le calcaire (en rose, à l'ouest) tandis que sur la rive gauche, il s'agissait exclusivement du calcaire.
Creusées au XIIe siècle, ces carrières souterraines de pierre à bâtir (calcaire) ont été exploitées entre le XIIème et le XVIIème siècles notamment pour la construction de la chapelle du monastère des Capucins, de Notre Dame de Paris, de l’église Saint-Séverin et de la tour du temple.
Leur calcaire "grossier" était utilisé comme pierre à bâtir, leur gypse appelé après cuisson "pierre à plâtre", fournissait un matériau excellent dont la qualité s’exporta jusqu’aux Amériques, leurs graviers et sables fins dits "de Fontainebleau" étaient employés pour la verrerie et la fonderie, leurs marnes vertes et leurs argiles servaient à fabriquer les tuiles, les briques et les poteries.
Le problème, c'est qu'on creuse à tort et à travers jusqu'au XVIème siècle, faisant de Paris un vrai gruyère.
A toutes les époques, ces lieux seront soumis à contribution : ils serviront de voies de communications lors des émeutes et des guerres (les allemands les ont même utilisées pendant la seconde guerre mondiale) ; ils seront le refuge de malfaiteurs et de contrebandiers ; parfois des sociétés secrètes ou religieuses s’y réuniront ; enfin, jusqu’au début du xx siècle, ces cavités seront en partie utilisées par les industriels (les brasseurs de bière en particulier et les champignonnistes).
Au fil des siècles, les ressources du sous-sol se sont peu à peu épuisées et en 1813, deux décrets ont interdit l’exploitation de ces bancs de pierre souterrains.
Toutes ces carrières se trouvent aujourd’hui pratiquement remblayées. Seuls subsistent en témoignage de ce passé industriel, quelques vides d’anciennes exploitations de pierre à bâtir reliés entre eux par un vaste réseau de galeries d’inspection. Un linéaire de trois cents kilomètres de galeries souterraines émaille la rive gauche, épousant principalement la voirie de surface, ce qui fait dire à de nombreux historiens que le sous-sol de la capitale est un Paris à l’envers.
Pour beaucoup de parisiens, ce milieu souterrain exerce une véritable fascination. Des centaines d’Indiana Jones sont chaque week-end à la recherche du "trésor des templiers"... ou seulement d'un lieu pour faire la fête, détruisant les architectures de confortation qui sont censées protéger cette structure tentaculaire et taguant tout du sol au plafond.
C'est l'Inspection générale des carrières, créée en 1777 sous Louis XVI qui est en charge de l'entretien de ce réseau souterrain et c'est en 1979 que la SEADACC sélectionne les anciennes carrières des "Capucins" comme étant le site le plus représentatif du sous-sol de la capitale. Celui-ci devient un écomusée et en 1999 il est classé aux Monuments Historiques.
◄►◄►◄►◄►◄►
Notre visite a duré 2h30 et il s'agissait d'explications assez pointues : je n'ai pas tout retenu, loin de là mais tout de même quelques petites choses que je vais essayer de vous retransmettre.
C'est par un escalier de 21 mètres de profondeur (créé en 1943 lors de la défense passive) que nous accédons au Saint des Saints : une centaine de marches à descendre, mais aussi à remonter... Dedans, la température est de 15 degrés.
A l'origine, le Couvent des Capucins regroupait les malades atteints de maladies vénériennes que l'on tenait à l'écart car susceptibles de transmettre la maladie que l'on pensait épidémique.
Dans les galeries, des pierres gravées font référence à l’emplacement correspondant en surface. Ainsi, cette pierre, gravée en 1783, indique l'emplacement de l'ancien hôpital vénérien.
D'où vient le nom d'Hôpital Cochin ?
D'un curé qui, en 1756, prend ses fonctions dans la paroisse "Saint-Jacques-du-Haut-Pas" : il a juste trente ans et s’appelle Jean-Denis Cochin. Le 16 mars 1780, il fera l’acquisition de trois maisons entourées de vastes terrains situés sur l’ancien domaine des "Capucins" et fondera ainsi un hospice à l’usage des ouvriers carriers accidentés lors des travaux exécutés dans les immenses carrières souterraines du faubourg laissées en très mauvais état.
Jean-Denis Cochin (XVIIIème siècle)
Cette pierre numérotée 270 (comme l'adresse en surface) est gravée de la fleur de lys. C'est l'une des seules qui ait échappé aux révolutionnaires, les autres ayant toutes été martelées.
La différence entre deux sortes de piliers de soutènement : ceux datant du Moyen-Age, massifs, constitués du calcaire lui même que l'on laissait en place quitte à perdre de la matière et ceux, plus fiables si j'ai bien compris, construits à partir du XVIIème siècle par empilement de roches les unes sur les autres. Les premiers piliers sont appelés "piliers tournés" et les autres "piliers à bras" car les carriers les construisaient à la force de leurs bras.
La pierre était extraite depuis la surface grâce au percement d'un puits appelé "puits de service" et à un système de treuil actionné par une roue (une cage à écureuil actionnée par des hommes) ainsi que le montre cette peinture de Victor Adam datant de 1828. Ce système permettait à un homme de 80 kilos de remonter un chargement allant jusqu'à une tonne.
Dans la salle du rez-de-chaussée appartenant à l'association, on en voit une reconstitution. Notre guide nous l'a fait fonctionner avec le doigt !
Cette pierre gravée indique l'emplacement d'un "puits de service".
Un autre "puits de service" (réalisé en 1841) dont je n'ai pas retenu l'emplacement. Là où l'on aperçoit le jour..., c'est une plaque d'égout !
Ce très bel ouvrage (datant de 1810) est une fontaine, la fontaine des Capucins : les carriers descendaient y chercher l'eau nécessaire à la fabrication du mortier utilisé pour construire les "piliers à bras". Elle est associée à une échelle d'étiage (sur la gauche de la photo) servant à mesurer le niveau d'eau. Une petite niche, également à gauche de la photo contenait une petite Vierge.
C'était un peu la "vitrine" des carrières.
Notre guide nous montre ici les différents outils de taille des carriers ainsi que ceux servant au transport des pierres. Il nous fait aussi remarquer l'épaisseur plus ou moins grande des strates de pierre.
On voit très bien ici aussi les différentes épaisseurs de roche.
Le plafond de la carrière s'appelle le "Ciel" et le "mur de confortation" que l'on voit derrière a été construit en 1777. Charles-Axel Guillaumot, premier Inspecteur Général des Carrières, a en effet décidé à cette date de sécuriser les carrières.
Le Ciel peut se fissurer (comme ici) sous le poids du remblais (on voit ici que le mur de soutien a été construit en 1793).
Un remblais sous le ciel de la carrière
Cette pierre nous dit qu'autrefois on ne parlait pas de Sud mais de Midi.
Pour l'Est, on parlait de Levant et pour l'Ouest on utilisait le mot Couchant (la plaque émaillée date du XIXème siècle).
Sur celle-ci on s'aperçoit que le sculpteur a manqué de place puisqu'il a terminé son inscription par le mot Nôrd en petits caractères... Au passage, vous remarquerez que le numéro 263 (correspondant au même numéro en surface) est surmonté d'une fleur de lys qui a été martelée pendant la Révolution.
Le nom de la rue fait penser qu'elle était bien boueuse !
La carrière est un vrai livre d'histoire : cette pierre nous dit qu'elle a été sculptée en l'an VII de la République. I est le "numéro d'ordre" et G l'initiale du tailleur de pierre.
Celle-ci a été sculptée en 1777 sous le calendrier Grégorien : numéro d'ordre 45, initiale du tailleur de pierre G.
A cet endroit, c'est la profondeur qui est indiquée : 20,5 mètres.
D'autres pierres rappellent le passé du sol cette fois-ci.
Là se tenait un champ...
Ici, un potager.
Ici, c'est l'endroit où les habitués de la SEADACC se retrouvent chaque samedi pour faire le point de l'entretien des carrières.
On y trouve quelques sculptures récentes.
Très curieusement, cette belle tête a été sculptée en creux mais, à la photo, elle apparaît en relief.
Quant au Cabinet de Minéralogie présenté sous la forme d'un escalier, il est protégé par une grille. Il montre la succession des bancs de roches entre la carrière et la surface avec les noms que leur ont donné les carriers. Y étaient également entreposées les trouvailles archéologiques.
Grâce à cette inscription mais surtout à notre guide..., nous trouvons la sortie où 100 marches nous attendent.
Une visite vraiment passionnante