Je suis allée cet après-midi aux Sept Parnassiens renouveler ma carte d'abonnement (un cadeau d'anniversaire de ma sœur que j'ai tardé à réaliser) et j'ai pris un billet pour Les graines du figuier sauvage de l'iranien Mohammad Rasoulof, un film dont plusieurs amies m'avaient parlé comme les ayant marquées.
Le figuier sauvage est une plante qui pousse d’abord sur des arbres, les racines vers le sol, après que des graines ingurgitées par des oiseaux soient déféquées. Puis le figuier s’enroule autour de son tuteur, comme un boa constricteur, jusqu’à l’étrangler afin de se dresser librement. Une métaphore pour démarrer cette histoire qui se déroule de nos jours au sein d’une famille de la petite classe moyenne à Téhéran.
Le film a obtenu le Prix spécial du jury à Cannes cette année.
Synopsis
L'histoire se concentre sur Iman, sa femme, Mahgneh, et leurs deux filles, Rezvan (21 ans) et Sana, sa cadette adolescente. Iman est un fonctionnaire honnête, juriste qui, au bout de vingt ans, a récemment été nommé enquêteur au tribunal révolutionnaire de Téhéran par l'entremise d'un de ses collègues. Avec son nouveau statut, plus valorisant, Iman découvre avec inquiétude qu'on attend de lui qu'il avalise les condamnations à mort décidées par le procureur, sans même étudier les dossiers. À la signature de son engagement, il lui est remis un pistolet pour sa protection et celle de sa famille, pistolet qu'il range tous les soirs dans sa table de nuit.
À la même période, les manifestations nationales du mouvement "Femme, Vie, Liberté" contre le port obligatoire du hijab gagnent en ampleur et ses filles y sont indirectement mêlées. Ainsi, lorsque sa femme et ses deux filles aident une étudiante blessée lors d'une charge de police, par ailleurs seule amie de sa fille aînée, les trois décident de garder l'incident secret pour Iman. Au tribunal, on conseille à ce dernier de cacher ses activités à ses amis et à sa famille, par crainte de pressions qui pourraient être exercées sur lui.
La vie d'Iman commence alors à basculer dans la méfiance et la suspicion. Il réprimande ses filles pour leurs sensibilités féministes qu'il considère être de la propagande des ennemis de l'Iran.
Un matin, le pistolet d'Iman n'est plus dans le tiroir où il le range chaque soir. Cette perte pourrait le conduire en prison et mettre un terme à son ascension sociale. Il devient suspicieux, voire même paranoïaque, envers les trois femmes du foyer, pensant que l'une d'elles l'a pris et lui ment.
La bande-annonce
Mohammad Rasoulof, le réalisateur du film, a vécu depuis l'intérieur de sa prison le mouvement "Femme, Vie, Liberté" ayant suivi la mort de la jeune Mahsa Amini. A sa sortie de prison, enrichi par ses contacts avec ses geôliers, il a tourné le film en très peu de temps, de façon clandestine et dans des conditions inimaginables, principalement en intérieur, dans des propriétés privées, à la tombée de la nuit ou au lever du jour.
J'ai beaucoup aimé la première partie du film, qui est très documentée sur les événements qui ont secoué le pays en cette année 2022 grâce aux extraits tirés des réseaux sociaux (le réalisateur filme les deux jeunes filles recevant des vidéos de leur amie en direct sur leur téléphone). Il s'agit d'une sorte de huis-clos dénonçant la brutalité de l'Etat iranien envers la population, essentiellement celle des jeunes.
Par ailleurs, on y découvre la vie d'une famille iranienne de la classe moyenne, le rôle de la femme dans l'entretien de la maison (la mère a souvent les mains dans l'évier car elle n'a pas de lave-vaisselle), l'éducation des enfants et la façon dont elle prend soin de son mari, et celui du mari qui, lui, assure pécuniairement la vie quotidienne de la famille.
On sent une réelle complicité entre les deux sœurs et un abîme entre leurs réactions et celles de leurs parents au vu des événements qui se déroulent chaque jour, même si la mère semble plus nuancée que son mari. Un choc des générations qui permet, peut-être, un certain espoir... ?
On voit aussi qu'à l'intérieur de l'appartement, les femmes sont coquettes, s'épilent les sourcils, se mettent du vernis à ongle, pensent même à se teindre les cheveux en bleu (il s'agit du rêve de Sana, la plus jeune des filles, éprise de liberté...) mais que, dès qu'elles le quittent, elles revêtent le voile pour suivre la loi islamique en vigueur dans le pays.
J'ai moins aimé la seconde partie qui, elle, est une sorte de thriller au sein de la cellule familiale avec une fin que je laisse découvrir à ceux qui auraient envie de voir le film. Certes, cela permet de tenir pendant les 2h47 que dure le film et cela met en parallèle la répression de l'Etat et celle du chef de famille. Cela m'a paru un peu exagéré mais peut-être que je me trompe... ?
Au Festival de Cannes, Mohammad Rasoulof brandit les photos de deux de ses acteurs restés en Iran. Lui-même et trois jeunes actrices sont maintenant réfugiés à Berlin.
Un film à voir