☻ "Pour un oui, pour un non" de Nathalie Sarraute au Théâtre de Nesle
30 mars 2025 - J'ai profité du partenariat de Générations 13 avec le théâtre de Nesle pour aller voir ce dimanche soir une pièce de Nathalie Sarraute, une auteur que je connaissais seulement de nom.
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Le théâtre de Nesle est l'un de ces petits théâtres dont Paris regorge. Il est situé rue de Nesle comme son nom l'indique, une rue qui donne sur la rue Dauphine, les beaux quartiers en somme.
Descendue au métro Pont-Neuf, je traverse la Seine
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La statue équestre d'Henri IV domine le square du Vert-Galant où fut brûlé Jacques de Molay, dernier maître de l'ordre du Temple.
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En face de l'entrée du théâtre, un hôtel à la devanture accueillante.
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La triste histoire liée à la tour du même nom est bien connue : au début du 14e siècle, les trois belles-filles de Philippe le Bel, Marguerite, Blanche et Jeanne de Bourgogne, avaient pour habitude d'y faire "des parties de jambes en l'air" en compagnie de leurs amants... C'était sans compter sur Isabelle, la fille de Philippe le Bel qui s'en rendit compte et les dénonça à son père. Cela n'a pas réussi aux jeunes gens qui furent exécutés tandis que les jeunes dames furent emprisonnées dans la forteresse de Château Gaillard dans le Vexin normand.
L'entrée du théâtre
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A l'intérieur, une petite courette donne accès à un accueil très chaleureux.
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La pièce est un huis clos qui met en scène deux acteurs (Nathalie Sarraute les nomme H1 et H2), le troisième (H3) n'intervenant que brièvement au début de celle-ci et dans un long monologue pour la conclure. Au centre de la scène, une table et deux chaises accueillent les deux amis autour d'un verre de vin rouge.
Ceux-ci se revoient après une assez longue absence...
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"Un jour, il m’a fait une remarque sur un ton… condescendant."
"C'est bien, ça."
Sur cette pensée qui le taraude, un homme s’éloigne de son ami. Lorsqu’ils se retrouvent, les masques tombent, la vérité éclate, cartes sur table. La longue et solide amitié apparaît alors comme ce qu’elle est vraiment : une morbide fascination de chacun pour l’univers de l’autre.
Les non-dits et les silences tissent et minent nos relations tout autant que les mots, c’est ce que les deux amis apprennent au cours de cette "partie d’échecs" à l’issue ambiguë et incertaine. Leur amitié y survivra-t-elle : Oui ou… non ?
Une grande amitié se trouve abîmée par cette simple phrase "C'est bien, ça" : cela semble ténu comme sujet de pièce de théâtre mais Nathalie Sarraute va en faire un dialogue qui dure tout de même une heure, une heure pendant laquelle on ne s'ennuie pas une minute même si la pièce met un peu mal à l'aise, pièce à l'issue de laquelle on en déduira qu'il vaut mieux tourner sa langue deux fois dans sa bouche et surveiller le ton que l'on y met avant de parler, au risque de détruire à jamais une relation de toujours. A moins que des divergences insoupçonnées ne se révèlent à l'occasion de ce rendez-vous et qu'elles soient irréconciliables...
Enfin, c'est le résumé que j'en fais mais il y a sûrement beaucoup plus intellectuel !
Un extrait de la pièce
H.1. – Écoute, je voulais te demander… C’est un peu pour ça que je suis venu… je voudrais savoir… que s’est-il passé ? Qu’est-ce que tu as contre moi ?
H.2. – Mais rien… Pourquoi ?
H.1. – Oh, je ne sais pas… Il me semble que tu t’éloignes… tu ne fais plus jamais signe… il faut toujours que ce soit moi…
H.2. – Tu sais bien : je prends rarement l’initiative, j’ai peur de déranger.
H. 1. – Mais pas avec moi ? Tu sais que je te le dirais… Nous n’en sommes tout de même pas là… Non, je sens qu’il y a quelque chose…
H.2. – Mais que veux-tu qu’il y ait ?
H.1. – C’est justement ce que je me demande. J’ai beau chercher… jamais… depuis tant d’années… il n’y a jamais rien eu entre nous… rien dont je me souvienne…
H.2. – Moi, par contre, il y a des choses que je n’oublie pas. Tu as toujours été très chic… il y a eu des circonstances…
H.1. – 0h qu’est-ce que c’est ? Toi aussi, tu as toujours été parfait… un ami sûr… Tu te souviens comme on attendrissait ta mère?…
H.2. – 0ui, pauvre maman… Elle t’aimait bien… elle me disait: «Ah lui, au moins, c’est un vrai copain, tu pourras toujours compter sur lui.» C’est ce que j’ai fait, d’ailleurs.
H.1. – Alors?
H.2, hausse les épaules. – Alors… que veux-tu que je te dise !
H.1. – Si, dis-moi… je te connais trop bien : il y a quelque chose de changé… Tu étais toujours à une certaine distance… de tout le monde, du reste… mais maintenant avec moi… encore l’autre jour, au téléphone … tu étais à l’autre bout du monde… ça me fait de la peine, tu sais…
H.2, dans un élan. – Mais moi aussi, figure-toi…
H.I. – Ah tu vois, j’ai donc raison…
H.2. – Que veux-tu… je t’aime tout autant, tu sais… ne crois pas ça… mais c’est plus fort que moi…
H.1. – Qu’est-ce qui est plus fort? Pourquoi ne veux-tu pas le dire? Il y a donc eu quelque chose…
H.2. – Non… vraiment rien… Rien qu’on puisse dire…
H.1. – Essaie quand même…
H.2. – Oh non… je ne veux pas…
H.1. – Pourquoi ? Dis-moi pourquoi ?
H.2. – Non, ne me force pas…
H.1. – C’est donc si terrible ?
H.2. – Non, pas terrible… ce n’est pas ça…
H.1. – Mais qu’est-ce que c’est, alors ?
H.2. – C’est… c’est plutôt que ce n’est rien… ce qui s’appelle rien… ce qu’on appelle ainsi… en parler seulement, évoquer ça… ça peut vous entraîner… de quoi on aurait l’air ? Personne, du reste… personne ne l’ose… on n’en entend jamais parler…
H.1. – Eh bien, je te demande au nom de tout ce que tu prétends que j’ ai été pour toi… au nom de ta mère… de nos parents … je t’adjure solennellement, tu ne peux plus reculer… Qu’est-ce qu’il y a eu? Dis-le…tu me dois ça…
H.2, piteusement. – Je te dis : ce n’est rien qu’on puisse dire… rien dont il soit permis de parler…
H.1. – Allons, vas-y…
H.2. – Eh bien, c’est juste des mots…
H.1. – Des mots ? Entre nous ? Ne me dis pas qu’on a eu des mots… ce n’est pas possible… et je m’en serais souvenu…
H.2. – Non, pas des mots comme ça… d’autres mots… pas ceux dont on dit qu’on les a «eus»… Des mots qu’on n’a pas «eus», justement… On ne sait pas comment ils vous viennent…
H.1. – Lesquels ? Quels mots ? Tu me fais languir… tu me taquines…
H.2. – Mais non, je ne te taquine pas… Mais si je te les dis…
H.1. – Alors ? Qu’est-ce qui se passera ? Tu me dis que ce n’est rien…
H.2. – Mais justement, ce n’est rien… Et c’est à cause de ce rien…
H.1. – Ah on y arrive… C’est à cause de ce rien que tu t’es éloigné ? Que tu as voulu rompre avec moi ?
H.2, soupire. – Oui… c’ est à cause de ça… Tu ne comprendras jamais… Personne, du reste, ne pourra comprendre…
H.1. – Essaie toujours… Je ne suis pas si obtus…
H.2. – Oh si… pour ça, tu l’es. Vous l’êtes tous, du reste.
H.1. – Alors, chiche… on verra…
H.2. – Eh bien… tu m’as dit il y a quelque temps… tu m’as dit… quand je me suis vanté de je ne sais plus quoi… de je ne sais plus quel succès… oui… dérisoire… quand je t’en ai parlé… tu m’as dit : « C’est bien… ça…»
H.1. – Répète-le, je t’en prie… j’ai dû mal entendre.
H.2, prenant courage. – Tu m’as dit : «C’est bien… ça…» Juste avec ce suspens… cet accent…
H.1. – Ce n’est pas vrai. ça ne peut pas être ça… ce n’est pas possible…
H.2. – Tu vois, je te l’avais bien dit… à quoi bon ?…
H.1. – Non mais vraiment, ce n’est pas une plaisanterie ? Tu parles sérieusement ?
H.2. – Oui. Très. Très sérieusement.
H.1. – Écoute, dis-moi si je rêve… si je me trompe… Tu m’aurais fait part d’une réussite… quelle réussite d’ailleurs…
H.2. – Oh peu importe… une réussite quelconque…
H.1. – Et alors je t’aurais dit : « C’est bien, ça ? »
H.2, soupire. – Pas tout à fait ainsi… il y avait entre «C’est bien» et «ça» un intervalle plus grand : «C’est biiien… ça… » Un accent mis sur «bien»… un étirement : «biiien…» et un suspens avant que «ça» arrive… ce n’est pas sans importance.
Les trois acteurs à l'issue de la pièce
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H3, si je peux le nommer ainsi, nous a engagés à parler de la pièce autour de nous comme ça se fait dans les petits théâtres et nous a précisé que celle-ci était au programme du bac de français 2025.
Alors là je me suis dit que j'étais bien heureuse de l'avoir depuis longtemps le bac !
J'ai ensuite rebroussé chemin jusqu'au Pont Neuf en direction de la Samaritaine.
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Et j'ai vu qu'avec ce temps, les parisiens étaient de sortie sur les quais de Seine.
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Une belle découverte