J'ai pris du galon récemment dans mon association puisque j'ai accepté, avec quatre autres collègues, de reprendre l'atelier que notre amie Anne tenait depuis sept ou huit ans, intitulé "Marches de 6 km", et que nous avions rebaptisé "Balades urbaines" depuis le printemps dernier. Un gros travail qui m'a pris pas mal de temps et une grosse prise de tête entre les mails à gérer et les fichiers Excel à tenir à jour au fur et à mesure des inscriptions.
Aujourd'hui, c'est le jour du repérage de la première balade que j'organise avec l'aide d'un collègue de l'association, Gérard, qui sera chargé le jour J de guider une partie du groupe - quinze personnes marchant tranquillement - tandis que je guiderai les quinze autres d'un pas un peu plus rapide. Tout ceci, grâce à la précieuse documentation d'Anne que j'ai épluchée depuis plus d'un mois.
La promenade s'intitule "La ceinture verte du Paris populaire" et se passe dans le XXe arrondissement de la capitale.
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C'est devant la baraque du "Relais Tropical", à la sortie du métro Porte des Lilas, que nous nous retrouverons, comme aujourd'hui, à 9h30 du matin.
Anne a noté le trajet dans les moindres détails, ce qui fait qu'à la sortie du métro Porte des Lilas, nous nous dirigeons directement vers le cinéma "Etoile Lilas".
La rue Paul Meurice que nous empruntons porte le nom d'un romancier, ami de Victor Hugo, que celui-ci nomma rédacteur en chef du journal "L'évènement" pour soutenir la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. Cela lui vaudra de la prison en 1851. La rue a été tracée à l'emplacement de l'ancien parc du château des Bruyères disparu en 1760.
Elle est très végétalisée comme vous le voyez et bordée d'immeubles récents.
Il s'agit d'un tout nouveau quartier constitué de bâtiments éco-responsables.
Nous rejoignons le square Léon Frapié (romancier - prix Goncourt 1904) que nous traversons : au loin, se profilent les deux tours jumelles (à l'origine de bureaux) "Les Mercuriales". L'une d'entre elles a été reconvertie en 2022 en un gigantesque hôtel de 1600 chambres, un des plus grands d'Europe, largement destiné à une clientèle asiatique.
A la sortie du square, un autre espace de verdure : le Jardin Frida Kahlo (artiste peintre mexicaine du XXe siècle) auquel on accède en passant sous une jolie glycine.
Il y a là un jardin partagé orné de plusieurs petites poupées.
Traversée du périphérique
En direction de la Grande Mosquée de Bagnolet : et toujours ces tours jumelles qui nous poursuivent...
La mosquée, qu'il n'est pas possible de visiter, ressemble à l'intérieur à celle de la rue du Puits-de-l'hermite à Paris. Ses piliers, qui cernent l'espace réservé à la prière, sont recouverts de mosaïques du plus bel effet.
De retour dans la rue de Noisy-le-Sec, nous passons devant l'espace de glisse décrit par Anne et apercevons le minaret de la mosquée. L'architecture des Tours Mercuriales, construites en 1977 pour concurrencer le quartier de la Défense, est inspirée de celle des tours jumelles du World Trade Center de New York.
En 1995, le grimpeur français Alain Robert a escaladé une des tours.
Nous descendons ensuite la rue Le Vau (architecte des Tuileries et du Louvre, il a aussi édifié le château de Vaux-le-Vicomte) qui est bordée d'immeubles en briques roses. Il s’agit d’immeubles édifiés sur d’anciennes fortifications, devenus des terrains militaires, puis parsemés de bidonvilles : ce sont des HBM (habitations à loyer modéré). Le projet est hygiéniste : l’heure est au logement social pour limiter la propagation des épidémies dans les taudis des quartiers populaires. Connue pour être un matériau bon marché, la brique est alors plébiscitée par les architectes. S’ils n’auront pas de gros budget pour orner les immeubles, ils redoubleront d’imagination pour égayer l’ensemble, avec une alternance de couleur dans le choix des briques, et l’ajout d’éléments architecturaux en volume (balcons, balconnets, bow-windows, corniches...). Progressivement, ces dernières années, les bâtiments sont réhabilités, pour créer des salles de bain et gagner en isolation thermique.
Après cette longue traversée de la rue Le Vau, nous arrivons en vue du Square Séverine qui porte le nom de l'écrivaine, journaliste française, libertaire et féministe Caroline Rémy (1855-1929), dont le nom de plume était Séverine. Elle est la première femme à diriger un grand quotidien "Le Cri du peuple" brièvement en 1871, puis de 1885 à 1888, en collaboration avec Jules Vallès.
D'un côté les immeubles HBM du XIXe siècle
De l'autre les Tours Mercuriales du XXIe siècle
Nous voici arrivés à la Porte de Bagnolet, première étape de notre balade. C'est là que certains participants pourront quitter le groupe s'ils se sentent fatigués.
Le café qui fait l'angle de la place de la Porte de Bagnolet avec la rue de Bagnolet annonce la couleur : nous sommes bien dans le XXe arrondissement.
Au numéro 148 de ladite rue se trouve le Jardin de l'Hospice Debrousse.
Le Pavillon de l’Ermitage (1734), au fond du jardin, est l’unique témoin de la splendeur du château de Bagnolet, qui occupait ces terres au tout début du 18e siècle. C'est la dernière "folie" parisienne de style Régence. Propriété depuis 1719 de Françoise-Marie de Bourbon, fille légitimée de Louis XIV et de Madame de Montespan, le domaine qui couvrait près de 56 hectares fut morcelé et le château démoli dès 1770. Sous la Révolution, ce Pavillon appartenait au baron de Batz qui fut compromis en 1793 dans une infructueuse tentative d'évasion du roi. Le nom du pavillon de l’ermitage ne vient pas de sa situation un peu isolée, mais des peintures murales, qui représentent des ermites en méditation.
On peut le visiter lors des Journées du patrimoine ou des Rendez-vous au jardin.
A la sortie du parc par la rue des Balkans, nous rejoignons la rue de Bagnolet. Nous sommes maintenant dans l'ancien village de Charonne dont voici une peinture par Etienne Bouhot (1836).
Au numéro 136, des escaliers témoignent du passé de la rue : celle-ci a été creusée au milieu du XIXe siècle pour que les maraîchers de retour de Paris gravissent plus facilement la pente.
L'église Saint-Cyrille-Saint-Méthode, en forme de croix grecque, a été construite entre 1935 et 1962 (la guerre a interrompu les travaux) par l'architecte Henri Vidal. Il s'agit d'une église relativement petite car il y avait peu de moyens dans ces quartiers pauvres de la capitale pour lutter contre la déchristianisation...
La verrière est de Paul Bony (1958).
On peut y voir aussi un vitrail de Pauline Peugniez (1890-1987), une élève de Maurice Denis (pas de photo).
Juste en face, se trouve l'église Saint-Germain-de-Charonne du XIIIe siècle qui a failli disparaître. Seul son clocher est d'origine. Restaurée pendant sept ans, elle est à nouveau ouverte depuis 2016. C'était la paroisse du village de Charonne : jolie, petite, avec des vitraux et un orgue refaits au XXe siècle.
L'église s'est rendue célèbre dans la dernière scène du film "Les tontons flingueurs" - le mariage -, où l'on voit l'environnement (le quartier Saint-Blaise) ainsi que l'intérieur de l'église dans la scène des tontons agenouillés sur des prie-Dieu pendant que la voiture de la bande rivale explose...
Il y a un paquet de répliques cultes dans ce film...
"Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît". (Fernand Naudin/Lino Ventura)
"Patricia, mon petit, je ne voudrais pas paraître vieux jeu ni encore moins grossier. L'homme de la Pampa parfois rude reste toujours courtois mais la vérité m'oblige à te le dire, ton Antoine commence à me les briser menu". (Fernand Naudin/Lino Ventura)
"Vous avez beau dire, y'a pas seulement d'la pomme, y a aut'chose... Ca serait pas des fois de la betterave ?". (Paul Volfoni/Jean Lefebvre)
Une volée de marches conduit à l'église et au cimetière attenant (une exception à Paris avec le cimetière de Montmartre).
D'une surface de 41 ares, il comporte 650 sépultures.
A l'entrée, une plaque a été apposée le long du "mur des fédérés" (un épisode sanglant de la Commune de Paris en 1871).
Les "Fédérés" étaient des soldats de la Garde Nationale (créée à la Révolution) qui, pendant la guerre contre l'Allemagne en 1870, se sont révoltés contre le gouvernement de Thiers alors basé à Versailles qui a capitulé devant Bismarck.
Dans le cimetière, on remarque la tombe de la famille d'André Malraux.
Au fond, la tombe de François Bègue alias "Père Magloire", peintre en bâtiment, ou serrurier, et aussi un peu rebouteux (ce qui lui permit d'acquérir une fortune rondelette), ce personnage excentrique au sujet duquel beaucoup de choses ont été dites : il faisait courir le bruit qu'il aurait été le secrétaire de Robespierre, aurait échappé in-extremis au 9 thermidor, aurait créé une rose qui porte son nom...
Il avait en réalité une imagination débordante !
Il acheta cet emplacement en 1833 et y fit édifier ce monument avec du matériel de récupération. Son inhumation fut joyeuse, comme en témoigne ce poème valant épitaphe retranscrit dans le Dictionnaire des rues de Paris de Jacques Hillairet.
« Il nous faut chanter à la gloire / De Bègue François-Eloy / Ami rare et sincère / Fit mention dans son testament / Qu’il fut enterré en chantant. / Pour le fêter en bon vivant / Il nous laissa chacun cinq francs / En vrais disciples de Grégoire / Versons du vin et puis trinquons / buvons ensemble à sa mémoire ; / C’est en l’honneur de son trépas / Qu’il a commandé ce repas ». On raconte que cet ivrogne au grand coeur aurait été inhumé avec une bouteille. Il est évidemment un élément puissant de la culture populaire du « village de Charonne ».
Les chats sont les habitués du cimetière où ils sont nourris pas la population locale.
La tombe de Robert Brasillach : entré à l'ENS en 1928, il collabora à l’Action Française à partir de 1930. Il fut l’auteur d’une Histoire du cinéma et d’une Histoire de la guerre d’Espagne. Ses romans constituèrent une sorte de quête du bonheur. Épousant toutes les thèses du fascisme, il devint rédacteur en chef de "Je suis partout" (1937-1943) où il joua un rôle de premier plan dans la propagande pro-vichyste, puis pro-nazie. A la Libération, sa condamnation et son exécution le placèrent au centre des débats sur la responsabilité politique de l’écrivain.
Après avoir été inhumé au carré des fusillés du cimetière de Thiais, il fut transféré au cimetière du Père-Lachaise puis au cimetière de Charonne.
Et puis, dans une partie plus éloignée du cimetière, il y a la tombe de Marie de Miribel. Fille de général, dame d'honneur de la duchesse d'Orléans, catholique, frappée par la misère qui règne dans ce village de Charonne, elle se met au service des pauvres et des malades (infirmière), elle fut résistante pendant la deuxième guerre mondiale, puis se consacra à l'aide aux anciens prisonniers et déportés.
A la sortie du cimetière, face à l'église, nous empruntons la rue Saint-Blaise, autre artère principale du village de Charonne autrefois dénommée "grande rue Saint-Germain".
Une rue pavée et piétonne qui a gardé dans sa première partie le cachet du passé avec ses petits immeubles aux volets de bois datant du XIXe siècle. Bourgeois et aristocrates y mettaient volontiers leurs enfants en nourrice et s'y faisaient construire des demeures de plaisance qui ont aujourd'hui disparu (emplacements aux N° 2,5 et 26).
D'élégants pots de fleurs ornent l'ensemble de la rue.
Ça donne envie de s'installer en terrasse, non ?
Le XIXe siècle a laissé de belles propriétés...
Mais les XXe et XXIe siècles ont aussi marqué de leur empreinte ce quartier charmant un peu hors du temps comme ici avec cette jolie réalisation d'un immeuble sans doute éco-responsable.
Juste en face, la place des Grès tire son nom d'un ancien dépôt de pavés "les grès de Fontainebleau". Ici, au Moyen-Age se tenait un poteau de justice doté de "carcans d'infamie", celui des seigneurs de Charonne : les malfrats qui y étaient exposés, attachés par un carcan, étaient soumis aux huées de la foule puis emmenés plus loin dans le XXe, rue de la Justice, pour y être pendus ou décapités.
Les statues de grès qui ornent la place font schématiquement penser à un couple.
Plus bas dans la rue Saint-Blaise, une porte de style Louis XV est surmontée d'un mascaron à tête de Neptune, unique vestige d'une maison de plaisance du XVIIIe siècle où était établi de 1836 à 1906 un pensionnat tenu par des religieuses "Les sœurs de la Providence de Portieux (Vosges).
Deux pas plus loin, ayant pris l'impasse du square de la Salamandre, nous voici dans un tout autre environnement : des immeubles modernes tranchent avec l'architecture précédente.
La végétation y est présente malgré tout et l'ensemble a de la gueule.
Le square, très bien aménagé pour les jeunes enfants, tire son nom d'un jeu en bois.
Dans la rue Courat que nous venons d'emprunter, deux "tags" ont attiré mon regard.
Celle-ci débouche sur la rue des Maraîchers que nous empruntons après être passés sous les voies de la Petite Ceinture.
Ici encore, il ne s'agit pas d'immeubles haussmanniens mais bien d'un bric et broc de petits immeubles de différentes hauteurs : c'est le Paris populaire du XXe arrondissement.
Ça et là, des grilles de fer donnaient accès, autrefois, aux usines du quartier. Le numéro 77 abrite désormais le siège d'une association humanitaire.
Au numéro 94, une autre cour d'usine où se trouve maintenant les locaux d'un bureau d'études et pollution des sols.
Au passage dans la rue des Maraîchers : une fresque : "La trompette de Loys" d'Ojidjo
Nous voici maintenant dans le quartier de la Croix-Saint-Simon, près de la Porte de Montreuil que nous allons bientôt rejoindre. C'est là que Marie de Miribel choisit d'habiter et, avec quelques bénévoles, elle y multiplia les fondations : dispensaire, colonies de vacances, centre anti-tuberculeux, maternité, bibliothèque, centre de formation ainsi qu'un hôpital sans cesse agrandi avec une école d'infirmières, l'Hôpital de la Croix-Saint-Simon.
Une tour-clocher polygonale ressemblant à une lanterne des morts s'élève contre le mur latéral droit de la Chapelle Saint-Charles de la Croix-Saint-Simon.
La façade de la chapelle est ornée d'un tympan sculpté représentant le Christ en Majesté.
La nef de l'église est à trois travées.
Le chœur est pourvu d'un déambulatoire où l'on peut admirer un Christ du XVe siècle.
J'ai bien aimé la couleur des vitraux qui donnent un ton chaud à son intérieur ainsi que le Chemin de Croix réalisé en mosaïques.
De style néo-roman (elle a été construite au XXe siècle), cette chapelle possède entre autres deux belles mosaïques.
Celle-ci abrite une statue de Sainte-Thérèse de l'enfant-Jésus, œuvre du sculpteur Paul Landowski.
Cette autre est dédiée à la Vierge.
J'ai aussi trouvé très belle et non conventionnelle cette Jeanne d'Arc entourée par les flammes. On a tellement l'habitude de la voir casquée ou sur un cheval...
Au fond de la Chapelle, des photos légendées illustrent la vie de la Franciscaine.
Cliquez pour agrandir la photo.
Ainsi s'achève cette agréable promenade en contournant l'hôpital de la Croix-Saint-Simon à l'angle de la rue des Rasselins qui rejoint la Porte de Montreuil.
Merci Anne pour la documentation qui m'a permis de préparer cette balade !
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Hélas, trois fois hélas, cette balade que j'avais programmée pour le jeudi 10 octobre a dû être annulée à cause de la dépression Kirk qui a fait tomber sur la capitale quelques 70 litres d'eau au mètre carré... Bien sûr, ce n'est que partie remise !