☻ Visite guidée de l'hôtel de la Païva avec Générations 13
7 février 2016 - Dimanche dernier, j'ai fait une visite guidée fort intéressante proposée par Anne-Marie : celle de l'hôtel particulier de la Païva situé sur les Champs-Elysées au numéro 25. Il a été construit entre 1856 et 1865 par l'architecte Pierre Manguin pour Esther Lachmann, une aventurière russe d'origine polonaise.
L'hôtel appartient au Travellers Club depuis 1903 : il s'agit d'un club privé exclusivement masculin réservé à ses membres et à leurs seules épouses. Le Club qui l'a fait classer aux monuments historiques depuis 1980 en assure l'entretien et la restauration.
Esther Lachmann est née le 7 mai 1819 à Moscou de parents juifs polonais (son père est tisserand). A 17 ans elle est mariée à un tailleur d'habits français, ancien soldat de Napoléon resté en Russie, François Hyacinthe Antoine Villoing. Rebutée par la vie modeste qu'il lui fait vivre, elle le quitte rapidement, juste après la naissance de leur fils Antoine en 1837. Elle assurera cependant toujours l'éducation de ce dernier mais ne le verra jamais plus...
La Païva en 1860
Arrivée à Paris, elle s'installe dans le quartier de l'église Notre-Dame-de-Lorette où elle s'introduit dans le milieu de la prostitution, seule solution pour elle qui est arrivée sans le sou... (on appelait d'ailleurs à cette époque les courtisanes "débutantes" qui partageaient leurs faveurs entre plusieurs amants des Lorettes). Elle prend, sur les conseils de ses amies, le prénom de Thérèse et pendant une dizaine d'années collectionne ainsi les amants (elle a même une fille de l'un d'eux, Heinrich Henz, jeune pianiste-compositeur qui l'introduit auprès de ses amis écrivains et musiciens : c'est là qu'elle va devenir une "mondaine" accomplie).
Heinrich Herz en 1832
Elle le trompe allègrement quand celui-ci, ruiné, se voit obligé de partir en Amérique pour une tournée de 5 ans. C'est alors qu'elle rencontre le Marquis Aranjo de Païva, portugais né à Macao qui, en l'épousant, lui donne un nom.
C'est tout ce qu'elle cherchait ! Après la nuit de noces, elle lui signifie son congé...
Le destin met alors sur sa route le jeune (il a 11 ans de moins qu'elle) et beau Comte Guido Henckel von Donnersmarck, cousin de Bismarck, qui tombe fou amoureux d'elle. Celui-ci est de plus la plus grande fortune allemande après Krupp... Elle demande alors à Rome l'annulation de son mariage et l'obtient. Entre-temps, Païva, qui a perdu tout son argent au jeu, se suicide : elle peut donc épouser son Comte...
Le Comte Guido Henckel von Donnersmarck en 1871
Elle a maintenant tout loisir de se faire construire, avec l'argent de son mari..., le plus somptueux hôtel particulier de Paris sur les Champs-Elysées, un rêve qu'elle caresse depuis qu'elle est toute jeune.
L'appétit de richesse de la marquise passant par sa petite vertu fera dire au Figaro : "Bien que l'Hôtel ne soit pas encore aménagé, Madame la Marquise de Païva peut s'y installer ; le trottoir vient d'être terminé."
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Sur la façade de l'hôtel, un fronton portant un macaron représente la Païva, les yeux baissés.
On la reconnait d'ailleurs toujours à ses yeux baissés comme sur ces ferrures dorées ornant le portail d'entrée.
Sur les piliers encadrant le portail, des lions symbolisant la force mais peut-être aussi la richesse de cette femme devenue une vraie courtisane, une "lionne" comme on aimait à le dire à l'époque.
Une petite pièce fait communiquer le hall d'entrée avec le grand salon : ici, tout est luxe et volupté...
Le grand salon
Les deux miroirs situés de part et d'autre du salon renvoient la lumière des lustres à l'infini.
La cheminée monumentale est en marbre rouge de Carrare. Elle est parée de deux statues de femme en marbre blanc par Eugène Delaplanche.
A gauche, l'Harmonie
A droite, la Musique : à ses yeux baissés, on reconnait la Païva.
Au-dessus de la cheminée, les initiales G et B entrelacées : le G pour Guido Henckel von Donnersmarck et le B pour Blanche, le troisième prénom de la Païva.
Au plafond, une superbe peinture de Paul Baudry représentant "le jour poursuivant la nuit". La marquise aurait servi de modèle au nu de la Nuit... C'est à ce peintre que Napoléon III avait confié la décoration du Foyer de l'Opéra de Paris.
Dans les angles, la Païva est représentée, toujours avec les yeux baissés...
Au plafond, des angelots tiennent une couronne : celle de Comte, probablement en hommage au titre de son mari. Ils sont l'oeuvre de Jules Dalou.
La terrasse attenant au grand salon permet la vue sur l'avenue des Champs-Elysées...
Une lourde tenture rouge sépare le grand salon du salon de musique attenant.
La cheminée de marbre blanc, située sous la fenêtre, est décorée de deux têtes de lionnes dorées (la lionne, symbole des courtisanes).
avec des attributs fort féminins !
On continue la visite par celle de la salle à manger : c'est ici que la marquise recevait ses amis de marque et cultivait son cercle littéraire exclusivement masculin : elle redoutait la concurrence certes mais il est vrai qu'aucune dame n'a jamais consenti à franchir le seuil de l'Hôtel...
Elle y accueillit les Goncourt, Théophile Gauthier, Gambetta, Ernest Renan, Franz Liszt, Richard Wagner...
Bien qu'étant les hôtes de la marquise, les Goncourt ne l'épargnèrent guère :
« (…) je la regarde, je l’étudie. Une chair blanche, de beaux bras et de belles épaules se montrant par-derrière jusqu’aux reins, et le roux des aisselles apparaissant sous le relâchement des épaulettes ; de gros yeux ronds ; un nez en poire avec un méplat kalmouk au bout, un nez aux ailes lourdes ; la bouche sans inflexion, une ligne droite, couleur de fard, dans la figure toute blanche de poudre de riz. Là-dedans des rides, que la lumière, dans ce blanc, fait paraître noires, et, de chaque côté de la bouche, un creux en forme de fer à cheval, qui se rejoint sous le menton qu’il coupe d’un grand pli de vieillesse. Une figure qui, sous le dessous d’une figure de courtisane encore en âge de son métier, a cent ans et qui prend, par instants, je ne sais quoi de terrible d’une morte fardée. »
Bonjour l'amitié !
La pièce possède une cheminée monumentale en marbre de Carrare richement décorée : on peut y voir deux faunes musiciens en guise d'atlantes et au dessus deux lionnes couchées (toujours un rappel à la "position" de courtisane de la marquise) encadrant une très jolie bacchante également de Jules Dalou à la manière du "Jeune Pêcheur à la Coquille" de Carpeaux.
J'ai adoré !
Toujours avec les yeux baissés... La Païva avait une Ego très développé !
Le plafond de la salle à manger est très travaillé : la Païva y est représentée à ses quatre angles enserrant au centre une peinture représentant Diane chasseresse, une référence à celle de Benvenuto Cellini au Château d'Anet.
Les quatre portes de la salle à manger sont surmontées de trumeaux ornés d'allégories représentant la chasse, la pêche, les vendanges...).
On voit ici la pêche par Gabriel Ranvier surmontée d'un tournesol.
Dans le bar attenant (aménagé par ailleurs par le Traveller's Club pour ses membres) deux jolies fontaines.
Un coup d'oeil sur le jardin où la marquise conservait ses plantes l'hiver venant.
C'en est fini du rez-de-chaussée... Un superbe escalier taillé dans l'onyx donne l'accès à l'étage.
Le groupe en monte les degrés tout en suivant les commentaires de la guide.
Celle-ci nous fait remarquer le blason sous l’escalier: c'est celui de la Païva. On le reconnait à l'initiale B de son troisième prénom. Elle avait changé de prénom lors de son mariage avec le Comte Guido Henckel von Donnersmarck, sans doute pour se refaire une virginité...
Remarquez aussi la forme ronde de l'escalier soulignée par le carrelage au sol. Quant aux candélabres, ils sont en bronze doré.
A la mitan de l'escalier un superbe bas-relief de marbre blanc représente Amphitrite chevauchant un poisson à la queue très fantaisiste... Une représentation de la Païva naturellement puisque la jolie déesse a les yeux baissés !
La coupole possède un orifice octogonal et éclaire ainsi avantageusement les marches de l'escalier. Elle est décorée par des allégories de Rome, Venise, Naples et FLorence.
Nous voici arrivés en haut de l'escalier éclairé par une fenêtre ornée de jolis vitraux en grisaille.
Dans la garde-robe de la marquise, un bronze argenté de Albert Carrier-Belleuse représentant une "femme à l'enfant". Remarquez la lionne qui orne la vasque...
La garde-robe donne accès à la chambre de la marquise. Ici encore une cheminée assez exceptionnelle flanquée de deux nymphes en bronze doré.
Elle est pourvue d'un médaillon représentant un nu de femme : la Païva à coup sûr !
Le plafond à caissons n'a rien à lui envier...
La visite se termine par celle de la salle de bains mauresque, l'orientalisme étant très à la mode à cette époque. Elle est revêtue d'onyx dans sa partie basse tout comme la baignoire qu'elle renferme.
Un joli plafond...
et des céramique d'Iznik
La cuve de la baignoire est tapissée de bronze argenté et elle est pourvue de trois robinets.
Une légende court sur internet comme quoi l'un aurait distribué l'eau tiède, l'autre du lait d'ânesse et le troisième du champagne : c'est faux bien entendu ! Notre guide nous a expliqué qu'il s'agissait plus probablement d'un robinet destiné à réguler l'écoulement des eaux usées.
On aime ou on n'aime pas cette débauche d'art de la Renaissance italienne qui, il faut l'avouer, m'étoufferait s'il fallait que j'y vive (il n'en n'est pas question heureusement !) mais il reste que la Païva nous laisse ici un musée d'une richesse incroyable.
L'Hôtel particulier a coûté la bagatelle de 10.000 francs or de l'époque : une vraie fortune et pour le visiter, je n'ai dépensé que 10 euros !
Merci Anne-Marie pour cette brillante idée de visite.