Dans le cadre des "Balades urbaines" de mon association, j'ai suivi récemment une visite guidée très intéressante dans un quartier de Paris où je n'avais jamais mis les pieds auparavant, celui de La Nouvelle Athènes, dans le 9e arrondissement.
Voici, trouvé sur le net, le périmètre qu'il occupe dans Paris.
Appareil photo en main, je ne peux guère prendre de notes : heureusement, l'une des participantes à la balade, Bertille, m'a gentiment prêté les siennes.
Au début du 19e siècle, la Grèce est très à la mode.
C'est en 1821 qu'a lieu la première exposition de la Vénus de Milo au Louvre (la première statue venue de Grèce dans les collections et la première à être montrée incomplète).
En 1823, c'est l'indépendance de la Grèce suite à la guerre contre l'empire Ottoman, guerre à laquelle ont participé les grandes puissances (la France, le Royaume-Uni et la Russie).
Entre 1820 et 1860, Auguste Lapeyrière, un financier, s'associe avec l'architecte Auguste Constantin pour lotir ce faubourg de Paris d'immeubles dont l'architecture est inspirée de celle de la Grèce.
Notre balade commence au métro Trinité où Lisette, qui conduit la balade, a donné rendez-vous au groupe.
Contrairement à ce que la photo laisse penser, nous ne serons pas gênés par la pluie.
Nous sommes tout de suite dans l'ambiance avec ces immeubles aux chapiteaux corinthiens donnant sur la place d'Estienne d'Orves.
Voici le parcours que nous allons faire en compagnie de Lisette, ne voyant pas passer le temps tellement ses commentaires sont passionnants.
Nous empruntons tout de suite la rue Blanche qui démarre au niveau du square d'Estienne d'Orves. Lisette nous explique l'origine du nom de la rue : ce chemin était emprunté depuis le XVIIe siècle - et ceci jusqu'au XIXe siècle - par les charriots chargés de plâtre descendant des carrières de gypse situées à Montmartre.
On appelait le plâtre de Montmartre, le "plâtre de Paris" ou "blanc parisien".
Hélas - mais c'est pour son bien - l'église de la Trinité est toute encapuchonnée : une restauration qui va durer encore quelques années.
Au tout début de la rue, toujours des façades hellénisantes
Nous prenons à gauche la rue de la Tour des Dames (les dames, ce sont les abbesses de Montmartre) et nous arrêtons au numéro 13, un peu après un ancien centre de l'Edf. Il s'agit, comme on pourrait dire familièrement, d'un immeuble qui ne casse pas des briques ! Mais il a une histoire contemporaine : c'est en effet ici que Johnny Halliday a vécu avec sa tante dans sa jeunesse.
Une plaque y a été récemment apposée.
J'ai retrouvé une interview de Johnny qui est retourné en 1970 sur les lieux de son enfance.
Un peu plus haut dans la rue, au numéro 9, une façade qui ne paye pas de mine : c'est celle de l'Hôtel que le célèbre comédien français Talma, spécialiste de Shakespeare, se fit construire en 1820.
Un peu taiseuse, la plaque, sur ses fonctions, non ?
Portrait de Talma, l'acteur favori de Napoléon Ier, par Henri-François Riesener
Un peu plus loin, un très joli bâtiment : il s'agit de l'Hôtel de Melle Duchesnois, rivale de Melle Georges. Catherine Raffin de son vrai nom, sociétaire du Théâtre français, conquiert le public par sa voix et son jeu. Elle excelle notamment dans les tragédies de Racine. Elle fit construire cet hôtel en 1822 et en fit le rendez-vous des gens de lettres : Victor Hugo le fréquenta.
Juste après, au numéro 1, se trouve le Bureau des Voyages et de la Jeunesse (Auberges de Jeunesse) : il s'agit d'un ancien Hôtel particulier construit en 1746 et qui fut occupé un temps par Melle Mars, Sociétaire de la Comédie française. La façade est assez sobre mais Lisette nous a dit que l'intérieur était somptueux.
En voici un aperçu grâce à mon ami internet
Juste en face, l'Hôtel de Lestapis, construit en 1822, abrite le siège des restaurants Émeraude.
Vous savez que Paris est l'une des grandes capitales de la mode ?
Et bien, au bout de la rue de la Tour des Dames, l'ancien hôtel particulier du 12 rue Catherine de La Rochefoucauld (ancienne abbesse de l'abbaye de Montmartre) est maintenant le siège de l’École Supérieure des arts et techniques de la mode (ESMOD), école créée en 1841 par Alexis Lavigne, tailleur à Paris.
On peut y voir juste en-dessous de la toiture une pierre sculptée des armes de la Marine. Je ne me souviens pas de l'explication qu'en a donné Lisette (?)
Et nous voici face au musée Gustave Moreau, maître du Symbolisme : A la fin de sa vie, après la disparition de ses proches, Gustave Moreau décide de créer un musée pour son œuvre. Il conserve avec lui la plupart de ses peintures, les travaillant sans cesse et les entassant dans la petite maison du 14 rue de La Rochefoucauld. Il s'agit donc d'une maison-atelier.
Dans cette petite vidéo vous pourrez voir le superbe escalier en colimaçon qui reliait les différents étages de cette maison-atelier.
Nous voici maintenant dans la rue d'Aumale. Il s'agit de la rue la plus chère du quartier. Elle porte le nom du duc d'Aumale, fils de Louis-Philippe, qui remporta la bataille de la Smala d'Abd el-Kader contre les algériens le 16 mai 1843.
Le voici ici croqué par Franz Winterhalter en 1840.
La prise de la Smala d'Abd el-Kader par Horace Vernet (1844)
La Smala est un immense camp de toile composé de plusieurs enceintes circulaires. Il compte 30 000 personnes, essentiellement des femmes, enfants, fonctionnaires, artisans et serviteurs.
Au numéro 26, il s'agit d'un immeuble en style Troubadour (ce style pastiche le Moyen-Age et la Renaissance). A la fois sobre et décoré : j'adore !
Au numéro 24, Lisette nous signale que Françoise Hardy y a passé son enfance.
Une jolie entrée de cour...
Ce lieu s'appelle le Cercle d'Aumale. Ancien club de musique il concerne l'événementiel.
Le numéro 19 a une histoire : c'est ici que le comte de Lavalette, mari d'Emilie de Beauharnais (la nièce de Joséphine) et fidèle à Napoléon, a été arrêté le 18 juillet 1815 puis conduit à la Conciergerie pour conspiration contre l'État et usurpation de fonctions.
Après avoir vainement tenté d'obtenir sa grâce auprès de Louis XVIII alors au pouvoir, sa femme le fera évader en échangeant, derrière un paravent, ses habits contre ceux du comte qui partira en exil en Bavière où il restera six ans. A son retour en France, après la grâce royale, il retrouvera son épouse mais hélas celle-ci aura, entre temps, perdu la raison.
Bas-relief sur sa tombe au Père-Lachaise (Division 36)
Au coin de la rue Taitbout (greffier à l'Hôtel de Ville au XVIIIe siècle) que nous empruntons maintenant, de jolis mascarons dudit immeuble m'ont tapé dans l’œil.
(Photo internet : blog Montmartre secret)
Longeant cet élégant immeuble muni de bow-windows, nous poursuivons notre chemin.
C'est au numéro 80 que ça devient vraiment intéressant.
Vous connaissez ces "pelles Starck" : celle-ci nous parle du Square d'Orléans.
Dès le porche d'entrée, c'est la classe !
Le terrain de cette cour privée, appelée autrefois "Cité des trois frères", fut acheté en 1822 par Melle Mars pour la somme de 250.000 francs-or pour le revendre le double trois ans après. C'est ce qu'on appellera une bonne opération financière.
Au centre des quatre corps de bâtiments, une jolie fontaine dans ce vrai havre de paix
Ici, ce sont des colonnes à chapiteaux doriques qui ornent cet immeuble. Ils virent passer du beau monde : Frédéric Chopin et Georges Sand (de 1842 à 1849), le beau-père de Charles Gounod, la danseuse Marie-Sophie Taglioni, Pauline Viardot (la soeur de la Malibran), et Alexandre Dumas père y abrita ses amours avec la comédienne Belle Krelsamer (nom de scène Mélanie Serre) qui lui donnera en 1931 une fille, Marie-Alexandrine.
La visite terminée, nous rebroussons chemin dans la rue Taitbout.
Vue sur le patio du Square d'Orléans
Et voici à nouveau la rue d'Aumale avec au numéro 10 un immeuble décoré d'élégantes colonnettes hellenisantes
Richard Wagner, chassé de la rue Newton par le bruit des travaux du baron Haussmann, habita au numéro 3 entre octobre 1860 et juillet 1861 comme en témoigne la plaque apposée au rez-de-chaussée de l'immeuble. Il y travailla à son opéra Lohengrin mais celui-ci fut très mal reçu par la critique à Weimar (il n'y eut que trois représentations). Plus aucun opéra de Wagner ne se fera à Paris pendant trente ans.
Il ne dut pas vraiment apprécier son appartement situé au deuxième étage car il écrivit : « Je me suis donc mis à la recherche d’un autre logement, et j’en trouvai un, misérable et lugubre, rue d’Aumale. Par un temps exécrable, il nous fallut déménager à la fin de l’automne. Fatigué par ces opérations et les répétitions, je fus finalement terrassé par une fièvre typhoïde ».
A deux pas de la rue d'Aumale, le théâtre Saint-Georges - et son mur aveugle décoré en trompe-l’œil - fait l'angle avec la place du même nom où nous allons passer un petit moment tellement Lisette a de choses à nous dire !
C'est dans ce quartier que les frères Goncourt créèrent une partie de leur œuvre. Le théâtre servit de décor à François Truffaut pour son film Le dernier métro...
La place Saint-Georges est un bijou d'architecture, elle possède un charme fou. Nous sommes ici dans le quartier des lorettes (au XIXe siècle il s'agit d'une jeune femme élégante vivant de ses relations avec les hommes) : l'église Notre-Dame-des-Lorettes, près de laquelle elles habitaient, n'est pas loin.
Au numéro 28 se trouve d'ailleurs le premier hôtel particulier de la Païva, pseudonyme d'Esther Pauline Blanche Lachmann, demi-mondaine qui eut de nombreux amants la comblant de cadeaux. "Qui paye y va", disait l’adage. Et l’addition était salée.
Cet Hôtel lui fut offert par un riche Portugais, le marquis Albino Francisco de Païva-Araujo, qu'elle épousa. Le lendemain du mariage, elle lui dit cependant que
"chacun ayant obtenu ce qu'il voulait, il convient d'en rester là" !
Le marquis repartit au Portugal mais elle conserva l'Hôtel jusqu'en 1852, date à laquelle elle rencontra un autre pigeon - le neveu de Bismarck, Guido de Donnersmark originaire de Silésie - qui lui fit construire un autre hôtel particulier, mais cette fois-ci sur les Champs-Élysées. Les frères Goncourt qui méprisent le style des lieux le surnomment "Le Louvre du cul".
Après la guerre de 1870, la Païva est soupçonnée d'espionnage et devient indésirable en 1877 où on lui demande de quitter la France. Elle finira ses jours en Silésie avec Guido de Donnersmark devenu son mari.
Waouuuhhh !
Au centre de la place, une fontaine a été construite en 1820 : elle servait d'abreuvoir aux chevaux. La voici peinte par Gustave Caillebotte.
Elle fut tarie lors de la construction du métro en 1906. Un monument à Gavarni, dessinateur satirique, œuvre de Denys Puech, la remplace en 1911.
Le buste de l'artiste surmonte un socle orné d'un bas-relief illustrant le Carnaval de Paris dont il était l'illustrateur. A noter que pendant le Carnaval de Paris, les femmes avaient le droit de s'habiller en homme.
Dans la partie médiane, on peut admirer un relief représentant Arlequin et Colombine.
Tandis que dans la partie basse se trouvent quatre mascarons de bronze servant de becs à la fontaine.
Le sculpteur, Denys Puech, s'est représenté sur l'un d'eux.
Une lorette
Je n'ai pas retenu le nom des deux autres.
La place traversée, nous voici maintenant devant un autre hôtel particulier.
Il s'agit de la Bibliothèque Thiers, une bibliothèque spécialisée dans l'histoire de France au XIXe siècle. Cet hôtel particulier a été acheté en 1832 par Alexis Dosne dont la femme Sophie deviendra la maîtresse de Thiers avant de lui donner leur fille Elise pour épouse. Thiers pris ensuite comme maîtresse leur deuxième fille !
Pas beaucoup de moralité, l'Adolphe...
Thiers a réprimé la Commune : en conséquence les Communards ont brûlé l'hôtel. Qu'à cela ne tienne, celui-ci le fait reconstruire en style Louis XVI aux frais de l'état !
J'ai lu qu'on appelait parfois Thiers "le nabot de Versailles" (il mesurait 1,56 m) et ce lieu "la maison de Foutriquet"...
Depuis 1905, l'Hôtel Dosne-Thiers est la propriété de l'Institut de France.
L'arrière du bâtiment donne sur un petit square.
Nous prenons la rue Notre-Dame-de-Lorette puis la rue Henry Monnier qui porte le nom d'un dessinateur-caricaturiste et comédien, et arrivons sur un endroit charmant où la rue s'élargit. C'est là que François Truffaut situe son premier long-métrage "Les quatre-cent coups" qui met en scène le personnage d'Antoine Doisnel.
Là aussi se trouve le Café du Père Tanguy.
Julien François Tanguy joue un rôle essentiel dans l'histoire de l'impressionnisme. Marchand de couleurs à l'époque, il était connu pour se faire payer en tableaux par les impressionnistes. En 1871, il adjoignit d'ailleurs à son commerce de matériel la vente de tableaux.
Van Gogh réalisera son portrait à plusieurs reprises. Celui-ci date de 1887.
Juste derrière, à l'angle de la rue de Navarin (dernière bataille dans la guerre gréco-turque - 1827), une plaque a été apposée : c'est là que le cinéaste passa son enfance chez ses parents à partir de l'âge de dix ans.
Au numéro 22 de la même rue, une plaque vient d'être apposée par la mairie du 9e arrondissement pour commémorer les 100 ans que Charles Aznavour aurait eus en ce 22 mai 2024. C'est là que vivait la famille Aznavour pendant la deuxième guerre.
Ils y ont hébergé Mélinée et Missak Manouchian.
En poursuivant dans la rue jusqu'au numéro 9, on peut admirer un bel immeuble néo-gothique des années 1860. Personne ne pourrait deviner qu'un tel lieu était en fait au 19e siècle un lieu de débauche sado-masochiste...
C'était la maison de Madame Christine.
Rebroussant chemin, nous arrivons bientôt à la petite place en demi-lune bâtie en1837 et qui porte actuellement le nom de Gabriel-Kaspereit du nom d'un ancien maire du 9e arrondissement récemment décédé.
Là se trouve une voie privée, vrai havre de paix : l'avenue Frochot qui, nous dit Lisette, est l'une des plus sélects de Paris.
Évidemment, l'entrée en est fermée par une grille, très élégante d'ailleurs, et un digicode : mais maintenant, dans Paris, on ne peut plus faire le curieux comme autrefois...
Devant la loge du gardien, une plaque rend un hommage discret à Jean Renoir qui y possédait un hôtel particulier (de 1937 à 1949) avant de partir pour les Etats-Unis.
Coup d’œil sur une maison dont les propriétaires ont bien de la chance, non ?
De nombreux artistes peintres comme Toulouse Lautrec ou Gustave Moreau, écrivains comme Victor Hugo, ou musiciens comme le chef d'orchestre Charles Lamoureux ou encore Django Reinhardt, y ont habité.
D'ailleurs un café y a pris le nom de Django sur la placette.
L'autre "clou" de cet endroit, c'est la Villa Frochot.
Construite en 1837, elle a une riche histoire : elle aura été un cabaret connu sous le nom du Shangaï, puis un théâtre expérimental (le Théâtre en Rond), puis un cercle de jeu (le Cercle Central), avant devenir la salle de soirée qu’elle est de nos jours.
Sa véranda, datant des années 1930, est ornée de vitraux Art Déco s'inspirant de "La vague" d'Hokusai.
La vague d'Hokusai avec le mont Fuji en arrière-plan
En face de la Villa Frochot, dans la rue Victor Massé, une jolie enfilade de trois immeubles richement décorés.
Une certaine Berthe Weill y ouvrit au numéro 25 la première galerie d'art tenue par une femme (la Galerie B. Weill) en y exposant les artistes montants de l'époque tels que Modigliani et Picasso.
Au rez-de-Chaussée, se trouvait à l'époque le Cotton Club dans lequel se produisait Django Reihhard. Il est maintenant fermé définitivement mais un autre bar s'y est installé.
Vincent Van Gogh et son frère Théo habitèrent au numéro 27 dans cet immeuble d'angle dont pas un centimètre carré n'a échappé aux tailleurs de pierre !
La rue Jean-Baptiste Pigalle est voisine. Dans les années 1950, au numéro 54 , une surnommée Madame Moune dans le milieu de la nuit, y ouvre un cabaret exclusivement réservé aux femmes et à quelques rares hommes triés sur le volet, le premier d'Europe.
De nos jours, c'est juste un lieu branché de la capitale parmi d’autres.
Plusieurs vitrines de magasins nous rappellent que nous sommes ici dans le temple de la musique.
J'ai repris mon métro à Pigalle sans aller jusqu'au bout de cette agréable déambulation dans le 9e arrondissement. Lisette a poursuivi sa visite guidée mais... mon estomac criait famine !!!
Toujours intéressantes les balades de Générations 13