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Une visite de l'exposition "Juifs d'Orient, une histoire plurimillénaire" offerte par l'IMA
Comme certains le savent, je gère avec trois autres copines maintenant, le site internet de mon association Générations 13 et cela a parfois des avantages. Un mail reçu sur la boîte mail du site nous demandait il y a quelques temps si nous serions intéressés par des entrées gratuites pour l'exposition en cours "Juifs d'Orient, une histoire plurimillénaire" qui se tient en ce moment à l'Institut du monde arabe.
J'ai bien sûr répondu par l'affirmative à la personne responsable du "marketing" du musée. Nous avons reçu en retour une dizaine d'invitations et j'ai hérité de deux d'entre elles... C'est aussi ça, le bénévolat !
Philippe m'a accompagné pour cette visite que nous n'aurions peut-être pas faite autrement mais que je n'ai pas regrettée.
L'IMA est facilement accessible depuis chez nous par le 67 qui nous dépose au bout du boulevard Saint-Germain, juste en face du bâtiment construit en bord de Seine. L'édifice a été conçu par un collectif d'architectes (Jean Nouvel et Architecture-Studio) : il s'agit d'une synthèse entre culture arabe et culture occidentale. Il donne, à l'arrière, sur mon ancienne fac, Jussieu, mais n'existait pas quand j'y ai fait mes études bien sûr puisque, commandé sous Valéry Giscard d'Estaing, il a été inauguré en 1987 par François Mitterand.
L'affiche de l'exposition : j'y vois que l'expo est bientôt terminée.
Cette exposition met en lumière la longue histoires des juifs en Orient. Elle permet de découvrir la richesse des contacts noués par les communautés juives avec les différentes civilisations, grecque, romaine, perse et surtout arabe qui se sont succédé dans cet espace au sein duquel le judaïsme s'est épanoui. C'est à partir du VIIème siècle à Médine que commence l'histoire commune des juifs et des musulmans.
Grâce à des prêts d'œuvres issues de collections internationales (France, Angleterre, Maroc, Israël, Etats-Unis, Espagne), l'IMA présente des œuvres inédites et d'une grande variété de formes : archéologie, manuscrits, peintures, photographies, objets liturgiques et du quotidien et enfin installations audiovisuelles et musicales.
L'exposition ouvre sur un tableau de Marc Chagall intitulé "Moïse recevant les tables de la loi" (1950-1952) prêté par le Musée d'Art Moderne de Paris.
C'est au mont Sinaï, lors de la fuite d'Egypte, que Moïse reçoit les tables de la Loi et scelle l'Alliance du peuple juif avec Dieu. Dès l'antiquité, Moïse est le prophète le plus fréquemment représenté dans l'iconographie biblique et cela dès le IIIème siècle dans la synagogue de Doura Europos (Syrie actuelle). Marc Chagall respecte l'interdiction de la représentation de Dieu symbolisé par deux mains sortant des nuées. Moïse, vêtu de blanc, porte sur son front les rayons de lumière.
Ossuaire en calcaire décoré de motifs floraux (Jérusalem) - Ier siècle ap J.-C.
Prêt du British MuseumVase dit Vase de Cana en albâtre (Syrie ou Palestine) - 1ère moitié du Ier millénaire ap J.-C. (Prêté par le Musée du Louvre)
Quelles belles courbes, modernes, non ?
Brique funéraire en argile moulée (Acinipo - Espagne) - IVe au VIe siècle
Prêt du Musée de TolèdeJ'ai trouvé l'objet particulièrement élégant.
Si de nombreuses sources attestent de l'importance des communautés juives à Carthage et en Afrique romaine, peu de vestiges subsistent de cette période. La synagogue romaine de Naro Hamma Lif, découverte au XIXe siècle, est en cela exceptionnelle.
La mosaïque du milieu était partagée en trois compartiments : en haut on voyait un paysage maritime avec des poissons et des oiseaux aquatiques, en bas un paysage terrestre avec des palmiers ombrageant un cratère et sur les anses des cratères deux paons affrontés. Dans le compartiment du milieu, une dédicace encadrée d'un cartouche à queues d'aronde, entre deux chandeliers à sept branches et d'autres instruments liturgiques, apprenait aux dévots ou aux visiteurs que le sanctuaire avait été pavé en mosaïque aux frais d'une dame nommée Juliana.
La photo qui suit est une reproduction papier.
Détail de la mosaïque précédente
Mosaïque avec l'arbre du Paradis (pierre et mortier)
Prêt du Musée de Brooklyn à New-YorkLe décor de la salle suivante nous emmène définitivement en Orient...
Traité de médecine d'Hippocrate en Judéo-Arabe (Catalogne) - vers 1345-1348
Astrolabe à inscription en hébreu en laiton gravé (Espagne ou Italie) - XIVe siècle
Prêté par le British MuseumElément de pierre tombale (Tétouan - Maroc) - XVe siècle
Collection Paul Dahan (Bruxelles)Deux lampes avec suspension en métal et cuivre jaune (Fès - Maroc) XVIe siècle
Collection Paul Dahan (Bruxelles)Rouleau de Torah en cuivre
Manuscrit dit "Document des trois religions" - Empire Ottoman vers 1900
Encre et peinture sur papier (Tel-Aviv collection privée William L. Gross)Cette page présente une illustration très rare des trois religions qui composent la ville de Constantinople sous l'Empire Ottoman, à travers des édifices clés : la Mosquée bleue pour l'islam, la synagogue italienne pour le judaïsme et Sainte-Sophie pour le christianisme, bien que cette dernière soit devenue une mosquée au XVe siècle.
Textile décoratif mural avec représentation du sacrifice d'Abraham (Jérusalem vers 1900)
Le temps de l'Europe
Le XIXe siècle est marqué par la colonisation de l'Algérie (1830), puis par la prise de contrôle de la Tunisie (1881), de l'Egypte (1882), du Maroc et de la Lybie (1912) par la France, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Italie. Après la première guerre mondiale, l'Empire ottoman est démantelé par la mise en place des mandats français (Liban, Syrie) et britanniques (Iran, Palestine, Transjordanie) dans les provinces arabes.
La mainmise de l'Europe sur une partie du monde arabe a un impact économique, politique, social sur les communautés juives du monde arabo-musulman. Un basculement s'opère alors en faveur de la culture européenne. Le français, l'anglais, l'italien se diffusent dans les pays colonisés, l'arabe n'est plus la langue principale parlée par les juifs scolarisés du Machrek au Maghreb. Les puissances coloniales exportent des modes de pensée issus de la Révolution française et de l'esprit des Lumières. Les idées d'égalité entre les citoyens portées par les intellectuels juifs d'Europe ont des conséquences sur les relations entre juifs et musulmans dans les pays colonisés. Petit à petit, le statut de "dhimmi", cadre de référence qui régissait les relations entre juifs et musulmans, est aboli dans l'Empire ottoman.
Dans le domaine des arts, les peintres européens et les écrivains font alors le "voyage en Orient" et les juifs deviennent un nouveau sujet du mouvement orientaliste.
Portrait d'Adolphe Crémieux par Jean Jules Antoine Lecomte de Noüy (1878)
(Prêt du Musée d'art et d'histoire du Judaïsme)Ce portrait présente Isaac Adolphe Crémieux qui a œuvré tout au long de sa vie pour l'émancipation des juifs. Il est élu en 1864 président de l'Alliance israélite universelle. Alors ministre de la Justice du gouvernement de 1848 et du gouvernement de défense en 1870, il fait adopter le "Décret Crémieux" qui accorde la citoyenneté française aux trente-cinq mille juifs d'Algérie.
Les juifs dans l'Orientalisme
Les voyages d'Eugène Delacroix au Maroc puis en Algérie en 1832 suivi par celui de Théodore Chassériau en 1846 à Constantine marquent les débuts d'un intérêt des peintres européens pour les juifs d'"Orient" et créent un courant inédit qui se rattache à la peinture orientaliste. Les peintres sont attirés par la découverte d'une réalité ethnographique nouvelle et la possibilité d'un renouveau esthétique. Les populations juives du Maghreb étaient probablement moins réticentes au portrait et plus accessibles en raison des liens qu'elles pouvaient entretenir avec l'Europe. Beaucoup d'artistes voient dans ce nouveau motif une forme de régénération du passé. Les femmes juives sont souvent idéalisées et apparaissent comme des "héroïnes bibliques" tranchant avec les représentations caricaturales du juif qui se diffusent aussi en Europe.
Princesse Mathilde (Mathilde Letizia Wilhelmine Bonaparte, 1820-1904)
La touche orientaliste dans le travail de la Princesse Mathilde est influencée par le travail du peintre Eugène Giraud en Espagne en 1846 puis en Algérie. L'œuvre étant définie comme un "caprice d'un pinceau fantasque et d'un impérial loisir" est riche de détails ethnographiques tels que la représentation de la robe traditionnelle, de la coiffe et des bijoux.
Eugène Delacroix - Juive d'Alger (Paris 1833) Estampe, gravure à l'eau-forte (?) sur papier vergé (Prêt du musée d'art et d'histoire du Judaïsme)
En 1832, Delacroix passe beaucoup de temps à Tanger où il peint les juifs de la ville. Invité à une noce juive le 21 février, il réalise un célèbre tableau, des carnets d'esquisses et dix-huit aquarelles de femmes en costumes traditionnels qu'il nomme "les perles d'Eden". La note manuscrite du donateur au dos de l'estampe précise que le titre "Juive d'Alger" remontant à la vente et devait être "Juive de Tanger".
Suit une série de photographies de Ludovico Wolfgang Hart prises lors d'un voyage en Egypte et en Syrie entre 1863 et 1864 dans une démarche scientifique et ethnologique. Ces portraits de figurants locaux, ici d'origine juive, étaient destinés à créer une galerie universelle des peuples qui voit le jour en 1865 et dont le but était de "reproduire grâce à la photographie les costumes nationaux qui disparaissent rapidement devant les progrès de la civilisation."
Jeune fille juive de Damas en grande toilette - 1865 - Ludovico Wolfgang Hart et Charles Lallemand - Paris (Collection Pierre de Gigord)
J'ai pris la photo pour les "chaussures" qui, je trouve, ressemblent à celles des Geishas !
Abraham et Sarah Hassoun et leur fils André Gilbert - Aïn Beïda (Algérie) 1904
Un petit côté suranné pour cette photo d'une famille d'origine constantinoise. La photo rend compte de la promotion sociale des deux instituteurs nés français de la première génération après le décret Crémieux. Ils sont représentés ici en costume bourgeois à l'européenne avec leur fils, futur polytechnicien.
les "tikim" sont des coffres servant à conserver et à protéger la Torah. Lorsque le rouleau n'est pas enfermé dans un "tik", il est enveloppé dans une pièce textile Me"il appelée "manteau". Les coffres sont rangés dans une armoire dite arche sainte ou dans une cavité du mur de la salle de prière fermée par un rideau et orientée vers Jérusalem. Chaque pays rend compte de caractéristiques propres au regard des proportions mais aussi des choix décoratifs. Ces coffres sont en bois parfois recouverts de métal ouvragé.
Les populations berbérophones témoignent d'un goût prononcé pour les bijoux. Les plus remarquables sont en argent, parfois en bronze. Ils sont souvent ornés d'émaux, de perles de verre et de corail. La pureté des lignes aux formes géométriques ou aux motifs floraux mêlent plusieurs influences culturelles qui coexistent au Maroc (d'Orient, d'Afrique subsaharienne et d'Europe ).
Boucles d'oreilles Khoras Kbach - Tanger (Maroc) - XVIIIème siècle (or, émeraudes et perles baroques)
Parure de tête, coiffe de femme "çarma" - Alger - XVIIIème siècle - argent ajouré
Paris (Musée de l'IMA)Plusieurs types de coiffes pouvaient accompagner le costume traditionnel algérien. Celle-ci, peu confortable, a été rapidement abandonnée. La partie haute en métal permettait de maintenir les cheveux et se positionnait sur la tête grâce à un foulard.
Corne de bélier et plumeau de nettoyage - Laghouat (Algérie) -début du XXème siècle
Paris (Prêt du Musée d'art et d'histoire du judaïsme)Panier et paire de mules pour le bain rituel et le hammam - Oran (Algérie) - début du XXème siècle - Paris (Musée d'art et d'histoire du judaïsme)
Le bain rituel est une préoccupation de la loi juive. En Algérie, il est une véritable célébration publique précédant la cérémonie du mariage. La future mariée reçoit toutes les recommandations relevant du comportement à adopter dans son futur ménage et présente son trousseau à sa future belle-mère. L'immersion était suivie de l'application de henné.
Jean Besancenot est un photographe qui a travaillé au Maroc dans les années 1930, plus particulièrement dans les régions méridionales, peu touchées par l'occidentalisation. La présence de femmes juives domine son œuvre : leurs coiffes imposantes et leurs superpositions volumineuses de colliers, boucles d'oreille et bracelets étaient au cœur de leur identité, de leur beauté, et dans certains cas, de leur statut social.
A gauche : La mariée juive de Rabat-Salé (1934-1939)
A droite : Jeune femme juive en costume du Tafilalet (1934-1939)
Coiffe de mariage "kûfiya" ou "dûka" (soie et argent doré) - Tunisie XIXème siècle
Musée de l'IMACette coiffe brodée à la lame d'argent est une technique complexe et couteuse caractéristique de la Tunisie, particulièrement utilisée pour les costumes de mariage. La lame traverse le tissu créant un décor sur l'endroit et l'envers. Cette broderie avait certainement une vocation symbolique et servait à protéger la mariée.
Amulette en or gravé - Casablanca (Maroc) vers 1950
Collection privée Tel-AvivL'objet est tout petit : il est ici beaucoup grossi.
Main de procession en argent coupé, gravé, soudé - Irak vers 1920
Collection privée Tel-AvivRobe de mariée (broderie en métal sur satin de soie) - Bagdad 1904
Musée israélien de JérusalemConclusion : Le temps des exils
Dans la première partie du XXème siècle, l'Europe domine une grande partie des pays arabes. Tout au long de cette période, elle joue un rôle actif dans les décisions régissant les relations entre juifs et musulmans.
Durant la seconde guerre mondiale, l'Allemagne nazie, avec l'aide de ses alliés, met à exécution un projet d'extermination des juifs, qui a causé la mort de six millions d'entre eux.
L'antisémitisme européen atteint son paroxysme. Une des conséquences de ce traumatisme sera la montée du sionisme, mouvement jusque là essentiellement européen, dans les pays arabes. Par ailleurs, les populations colonisées revendiquent leur indépendance à travers le nationalisme arabe qui devient prépondérant après guerre du Machreck au Maghreb.
Le 29 novembre 1947, le plan de partage de la Palestine est approuvé par l'O.N.U. Il est suivi de la proclamation d'indépendance d'Israël en mai 1948 et du début des conflits armés entre Israël et plusieurs Etats arabes qui viennent au secours de la Palestine. Ces événements conduisent au départ d'environ sept cent mille palestiniens. le conflit atteint son paroxysme lors de la guerre "des six jours". Aboutissant à des conquêtes territoriales sur l'Egypte, la Syrie et la Jordanie, elle est à l'origine d'un sentiment de défaite éprouvé par l'ensemble du monde arabe et de l'organisation de la résistance palestinienne (Intifada). Depuis, persiste une crise durable questionnant encore aujourd'hui l'avenir des territoires palestiniens.
Tous ces événements vont provoquer une rupture entre les communautés juives et musulmanes, et pousser au départ, souvent dans des conditions douloureuses, de nombreux juifs vers la France, l'Israël, les Etats-Unis, le Canada. Les juifs de la diaspora se souviennent avec nostalgie de ce qui les rattache à leur histoire. Le besoin de recréer les liens qui ont marqué ces treize siècles de cohabitation se manifeste dans la référence à l'Orient perdu.
A l'issue de l'exposition, j'ai fait un petit tour dans l'Institut dont voici la bibliothèque, éclairée par les fameux moucharabiehs qui ont fait son originalité.
Vue sur l'Université de Jussieu
Etant allés prendre un thé à la menthe à la cafétéria, un excellent thé accompagné d'un petit croissant aux amandes qui me ferait retourner très vite revoir l'exposition (ou une autre), nous avons vu Jack Lang de plus près même que sur cette photo tirée du net. Il est, comme vous le savez, le Président de l'IMA.
Merci à Alexandra Bounajem-Hattab, responsable des partenariats institutionnels, pour ces billets offerts à l'association.
L'exposition continue jusqu'au 13 mars 2022...
Tags : Institut du monde arabe, exposition, Juifs d'Orient, une histoire plurimillénaire
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